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VICTOR HUGO.


Hélas ! laissez les pleurs couler de ma paupière,
Puisque vous avez fait les hommes pour cela !
Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre
Et dire à mon enfant : « Sens-tu que je suis là ? »

Laissez-moi lui parler, incliné sur ses restes,
                    Le soir, quand tout se tait,
Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux célestes,
                    Cet ange m’écoutait !

Hélas ! vers le passé tournant un œil d’envie,
Sans que rien ici-bas puisse m’en consoler,
Je regarde toujours ce moment de ma vie
Où je l’ai vue ouvrir son aile et s’envoler !

Je verrai cet instant jusqu’à ce que je meure,
                    L’instant, pleurs superflus !
Où je criai : « L’enfant que j’avais tout à l’heure,
                    Quoi donc ! je ne l’ai plus ! »

Ne vous irritez pas que je sois de la sorte,
Ô mon Dieu ! cette plaie a si longtemps saigné !
L’angoisse dans mon âme est toujours la plus forte,
Et mon cœur est soumis, mais n’est pas résigné.

Ne vous irritez pas ! fronts que le deuil réclame,
                    Mortels sujets aux pleurs,
Il nous est malaisé de retirer notre âme
                    De ces grandes douleurs.

Voyez-vous ! nos enfants nous sont bien nécessaires,
Seigneur ; quand on a vu dans sa vie, un matin,
Au milieu des ennuis, des peines, des misères
Et de l’ombre que fait sur nous notre destin,