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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Que j’avais, affrontant la haine et la colère,
                    Fait ma tâche ici-bas,
Que je ne pouvais pas m’attendre à ce salaire,
                    Que je ne pouvais pas

Prévoir que, vous aussi, sur ma tête qui ploie
Vous appesantiriez votre bras triomphant,
Et que, vous qui voyez comme j’ai peu de joie,
Vous me reprendriez si vite mon enfant !

Qu’une âme ainsi frappée à se plaindre est sujette,
                    Que j’ai pu blasphémer,
Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette
                    Une pierre à la mer !

Considérez qu’on doute, ô mon Dieu ! quand on souffre,
Que l’œil qui pleure trop finit par s’aveugler,
Qu’un être que son deuil plonge au plus noir du gouffre,
Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler ;

Et qu’il ne se peut pas que l’homme, lorsqu’il sombre
                    Dans les afflictions,
Ait présente à l’esprit la sérénité sombre
                    Des constellations !

Aujourd’hui, moi qui fus faible comme une mère,
Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts.
Je me sens éclairé dans ma douleur amère
Par un meilleur regard jeté sur l’univers.

Seigneur, je reconnais que l’homme est en délire
                    S’il ose murmurer,
Je cesse d’accuser, je cesse de maudire ;
                    Mais laissez-moi pleurer !