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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Vos visages sont doux, car douce est votre voix.
Qu’aimable est la vertu que la grâce environne !
Croissez, comme j’ai vu ce palmier de Latone,
Alors qu’ayant des yeux je traversai les flots ;
Car jadis, abordant à la sainte Délos,
Je vis près d’Apollon, à son autel de pierre,
Un palmier, don du ciel, merveille de la terre.
Vous croîtrez, comme lui, grands, féconds, révérés,
Puisque les malheureux sont par vous honorés.
Le plus âgé de vous aura vu treize années :
À peine, mes enfants, vos mères étaient nées,
Que j’étais presque vieux. Assieds-toi près de moi,
Toi, le plus grand de tous ; je me confie à toi.
Prends soin du vieil aveugle. — Ô sage magnanime,
Comment, et d’où viens-tu ? Car l’onde maritime
Mugit de toutes parts sur nos bords orageux.

— Des marchands de Cymé m’avaient pris avec eux.
J’allais voir, m’éloignant des rives de Carie,
Si la Grèce pour moi n’aurait point de patrie,
Et des dieux moins jaloux, et de moins tristes jours ;
Car jusques à la mort nous espérons toujours.
Mais, pauvre et n’ayant rien pour payer mon passage,
Ils m’ont, je ne sais où, jeté sur le rivage.

— Harmonieux vieillard, tu n’as donc point chanté ?
Quelques sons de ta voix auraient tout acheté.

— Enfants ! du rossignol la voix pure et légère
N’a jamais apaisé le vautour sanguinaire,
Et les riches, grossiers, avares, insolents,
N’ont pas une âme ouverte à sentir les talents.
Guidé par ce bâton, sur l’arène glissante,
Seul, en silence, au bord de l’onde mugissante,