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vivre en pleine réalité actuelle et de laisser les sujets vous venir d’eux-mêmes : M. Zola vit depuis des années loin de Paris, en ermite, dans une solitude farouche. Il ne voit plus rien, n’entend plus rien. Le monde a changé en seize ans : lui ne bouge ; il ne lève plus de dessus son papier à copie sa face congestionnée. Il ne songe même plus à regarder par-dessus la haie que font autour de lui les Rougon-Macquart. Il a sa tâche, qu’il accomplira. Il faut qu’il mène jusqu’au bout « l’histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second empire ». Il faut qu’il épuise toutes les classes, toutes les conditions, toutes les professions. Après les artistes, il « fera » les paysans ; après les paysans, les soldats, et ainsi de suite. Pour documents il n’a (car il s’agit toujours, ne l’oubliez pas, du second empire) que les souvenirs et les impressions de sa jeunesse, des impressions nécessairement incomplètes et effacées ou déformées par le temps. Et ce reclus, cet homme de cabinet qui s’impose des « matières » à mettre en romans, c’est lui qui vient nous parler d’observation directe, scientifique, de vérité intégrale, implacable, et autres rengaines ! Je sais bien que, grâce à Dieu, sa puissante imagination vivifie ses vieilles notes et ses souvenirs défraîchis et qu’il invente terriblement ! Alors, qu’il avoue donc enfin que ses romans, s’ils sont aussi « vrais » que tant d’autres, ne le sont guère plus, et que le naturalisme est une bonne plaisanterie ; car ou il n’est rien, ou il est à peu près