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M. Alphonse Daudet est un artiste hypnotisé par le présent. Les impressions qu’il reçoit des objets sont si vives qu’il n’existe pour ainsi dire pas en dehors d’elles. Il a, de plus, reçu le don de les traduire dans une langue si fébrilement expressive, que tout lui paraît languir à côté de ce mode de traduction. Étant doué de façon si particulière, il est nécessairement étroit et intransigeant (quoiqu’il lui soit arrivé, je le sais, de faire effort pour élargir ses sympathies). Il ne s’aperçoit pas qu’il y a autant de pédants impressionnistes et modernistes que de pédants académiques, et que les premiers ne sont pas toujours les moins bornés ni les moins déplaisants… Qu’est-ce que cela fait si, grâce à sa myopie, qui n’est qu’une vision intense des choses rapprochées, il nous fait, du monde où nous vivons, des peintures, éparses sans doute et fragmentaires, mais dont le relief et la couleur vibrante n’ont jamais, je crois, été égalées ? Gardons notre sagesse et laissons-lui la sienne. Il vaut mieux qu’il soit comme il est ; car, s’il pensait comme nous, il ne serait, tout au plus, qu’un stérile dilettante, et cela nous est tout à fait égal qu’il méprise les bons et utiles Astiers-Réhus, et qu’il n’aime pas la tragédie, puisqu’il écrit le Nabab et Sapho.

C’est un écrivain infiniment curieux. Intense, outrée, intermittente et comme émiettée, telle est d’ordinaire sa traduction de la vie. Ce qu’il rend toujours, et qu’il communique, c’est l’impression