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ses vers serrés, tout craquants d’idées, il décompose le bonheur de Faustus et de Stella, nous nous disons que Faustus et Stella doivent s’ennuyer royalement… Voulez-vous un exemple ? C’est au moment où les deux bienheureux vont s’enlacer :

  L’âme, vêtue ici d’une chair éthérée,
  Soeur des lèvres, s’y pose, en paix désaltérée,
  Et goûte une caresse où, né sans déshonneur,
  Le plaisir s’attendrit pour se fondre en bonheur.

Ces vers sont nobles et beaux ; ils sont remarquables de netteté, de justesse et de concision. Mais ils ne parlent qu’à l’esprit ; ils ne « chatouillent » pas, pour parler comme Boileau. Ce vaste poème sur le bonheur est sans volupté et sans joie. Il y a plus de bonheur senti dans tel hémistiche de Ronsard ou de Chénier, dans telle page de Manon Lescaut ou de Paul et Virginie ou même de quelque roman inconnu et sans art, que dans ces cinq mille vers d’un très grand poète.

Mais cela même devient, par un détour, extraordinairement intéressant. J’aime cet effort désespéré d’un poète triste et lucide pour exprimer l’ivresse et la joie. Le poème du bonheur devient le poème du désir impuissant et de la mélancolie incurable. En somme, nous n’y perdons pas.

J’ai dit que, dans la pensée de M. Sully-Prudhomme, la science faisait partie du bonheur idéal. Faustus, après le parfait contentement de ses sens, a