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une forme sérieuse. Il est revenu des antipodes aussi badin qu’il y était allé.

Je me dis malgré moi : — Un homme qui souffre de la grande misère du peuple et de toutes les horribles iniquités sociales et qui fait profession de ne point s’y résigner, j’ai beau faire, je ne puis me le représenter sous les espèces d’un boulevardier qui fait des mots. Les apôtres de la primitive Église pratiquaient peu le calembour, et je conçois mal Spartacus vaudevilliste. Quand un homme passe son temps à attiser les haines des souffrants, à provoquer la révolution sociale, à faire tout, sous prétexte que le monde va mal, pour qu’il aille plus mal encore, il faut qu’il soit bien persuadé de la justice de son oeuvre, et cette foi ne suppose pas un très grand fond de gaieté ni surtout une humeur de plaisantin. Si cet homme écrit, j’imagine que ce sera comme M. Élisée Reclus ou le prince Kropotkine, — avec fougue, avec éloquence, avec gravité, — peut-être pas sans déclamation, mais à coup sûr sans « fumisterie ». Non, décidément, il y a pour moi je ne sais quelle incompatibilité entre l’esprit de M. Rochefort et l’esprit de la cause qu’il défend. La phrase de Giboyer sur Déodat « tirant la canne et le bâton devant l’arche » et « appliquant la facétie à la défense des choses saintes », si vous supposez un moment qu’il s’agit de l’arche de la Révolution, croyez-vous que cette phrase conviendrait si mal à M. Rochefort ?

Ajoutez que la vie de ce grand railleur (comme son style) paraît se moquer fortement de ses opinions.