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tueux. Mais enfin une vieille race est, dans son ensemble, une sélection qui s’est poursuivie pendant des siècles. Les hommes tout à fait médiocres de cœur et d’esprit y sont, je crois, l’exception ; et les moins doués ont encore un orgueil du sang, un sentiment de la tradition, qui leur permettent de garder quelque tenue. Et quant à ceux, en plus grand nombre, qui naissent intelligents et distingués, on dirait qu’on leur en sait plus de gré qu’aux autres hommes, sans doute parce qu’ils pourraient mieux se passer de ces dons ; et il semble aussi qu’il leur soit plus facile qu’à nous d’user de cette intelligence pour se composer une vie élégante et délicieuse à souhait. En outre, ce ne doit pas être un mince plaisir, et c’est tout au moins une raison de vivre, que de savoir que l’on continue une race célèbre, de retrouver son nom mêlé partout à l’histoire, de reconnaître des aïeux dans les conducteurs de peuples et parmi les premiers acteurs qui ont joué publiquement leur rôle sur la scène du monde. Nous autres, nous continuons une foule anonyme, et c’est une foule anonyme qui nous continuera. Nous sommes, pour ainsi dire, coupés du passé, et ce n’est guère que dans le présent que nous avons des intérêts. L’inutilité de la vie nous apparaît plus aisément, à nous qui, si nous représentons quelque chose, le représentons avec des millions d’autres êtres. Eux, ils n’ont qu’à se laisser vivre pour faire partie de l’histoire. Ce que les autres hommes n’obtiennent que par un génie, une fortune ou un