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sont bien nettement celles de la cour de Versailles. Titus, c’est bien le roi, jeune, et idéalisé selon son propre rêve. Bérénice, restée un peu vaine et coquette parmi sa grande passion, c’est bien Marie ou Henriette (Racine avait à ce point oublié que Bérénice est juive, que, dans la première version de la pièce, il lui faisait invoquer « les dieux » ). Pour les contemporains, cette tragédie était bien, sous son très léger voile antique, une comédie moderne.— Et enfin, si, malgré tout, la « tendresse » est demeurée la marque dominante de Racine aux yeux des générations qui l’ont suivi, Bérénice sera donc la plus racinienne de ses tragédies, puisqu’elle en est la plus tendre, — non pas précisément par Titus, ni même par Bérénice, si « femme », si inconsciemment cruelle pour l’homme qu’elle n’aime pas, mais par ce doux et faible Antiochus, qui résume en lui tous les amants mélancoliques et délicats de l’Astrée et des romans issus de l’Astrée ; qui ne sait que gémir et rêver ; pèlerin d’amour après le départ de la reine ; aisément poète lyrique, dont le romanesque ressemble déjà par l’expression au romanesque des romantiques, et qui revoit Césarée dans le même sentiment que Lamartine reverra le lac du Bourget, et que Musset et Olympio reverront le paysage où ils ont aimé :

Lieux charmants où mon cœur vous avait adorée,

dit Antiochus.