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Et dans les derniers salons encore ouverts en 1790, à l’hôtel de La Rochefoucauld, aux soirées de mesdames de Poix, d’Hénin, de Simiane, de Vaudreuil, les personnes les plus élégantes connaissent cette ivresse. Et le sentiment du péril, et de l’incertitude des choses et des ruines proches, les pousse tour à tour aux amours rapides, ou aux rêveries dans la solitude, « mêlées de tendresses indéfinissables ».

Oui, malgré ses premières atrocités, Chateaubriand garde, des commencements de la Révolution, le meilleur souvenir émotif et esthétique. Le désordre des temps lui suggère cette comparaison bien inattendue : « Je ne pourrais mieux peindre la société de 1789 et 1790 qu’en la comparant à l’architecture du temps de Louis XII et de François Ier, lorsque les ordres grecs se vinrent mêler au style gothique. » Et, quand la Révolution sera tout à fait épouvantable, alors éclatera l’espèce de miracle des victoires révolutionnaires, dues en grande partie, il est vrai, à l’armée d’ancien régime ; et cela éblouira sur le jacobinisme jusqu’à Joseph de Maistre. C’est, je crois, seulement de nos jours qu’on a su voir la Révolution toute nue et sans prestige.

Mais Chateaubriand n’en pourra jamais parler de sang-froid ni sans une sorte d’admiration épouvantée où vivent des souvenirs d’émotions fortes et secrètement délicieuses. Il ne sera jamais totalement désenchanté de la Révolution. Comme