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agitations de Chateaubriand ; mais enfin il s’occupe. Il refait, réimprime et mêle ses Rêveries, son traité de l’Amour et son Obermann : ses livres ne lui sont donc pas indifférents. Il ne meurt qu’à soixante-treize ans. Il attend la fin des journées. Quand on s’applique à cela, quand on se distille à soi-même son ennui, c’est une occupation encore, et c’est une torpeur, quelquefois une griserie morne. Mais surtout Senancour aime très profondément la nature. Il l’a beaucoup plus regardée, je crois, et a beaucoup plus vécu dans son intimité que Chateaubriand. Il l’a associée à tous ses sentiments et à tous ses actes ; il s’est apaisé et même engourdi en elle. Il a, autant qu’il était en lui, rythmé sa vie selon celle de la nature. Il a été, un peu après Ramond, un peintre excellent de la montagne (ce fut l’Alpe suisse) et de la forêt (ce fut Fontainebleau). Il a préféré le soir au matin et l’automne au printemps parce que c’était son goût et, en somme, par sensualité, parce qu’il redoutait trop de joie et de lumière. Et il est mort parfaitement résigné. On peut très bien vivre sans souffrance en s’ennuyant tout le temps, pourvu qu’on n’ait pas de trop grands malheurs précis et concrets : car on tire une douceur de son ennui même.

Si cela a pu arriver à ce modeste et sombre Obermann, que dirons-nous de ce brillant et vaniteux René ? Il faut le reconnaître, la tristesse n’est pas un mal ; la tristesse, même profonde, n’