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Les yeux étincelants de fièvre et de famine,
Sales, mangés de lèpre et rongés de vermine,
Et d’ulcères hideux et noirs qui sont des trous,
Sous les carcans de fer qui labourent leurs cous,
Avec des mains sans doigts atrocement crispées
Et des regards cherchant leurs paupières coupées :
Ils viennent, hébétés de peur, courbant le dos
Aux lanières de cuir qui font craquer leurs os,
Stupides sous l’épieu qui les broie et les chasse.
Et la vague grossit, épouvantable masse,
Avec de longs remous qui laissent derrière eux
Des cadavres luisants et des moignons affreux,
Des petits enfants morts sur les gorges séchées,
Et des paquets vivants d’entrailles arrachées,
Comme un nid de serpents lovés sur le sol noir,
Où les derniers venus trébuchent sans les voir.
Telle, emplissant les airs de son intense haleine
Et de ses pas confus, l’énorme écume humaine,
Gonflant son onde accrue ainsi qu’un élément,
Vers Shin-Akhé-Irib roule innombrablement.



Et, comme sur la dalle où pourrissent les claies,
Où, rampant dans le flux fétide de leurs plaies,
Se tordent en râlant d’affreux suppliciés
Sur leurs membres rompus déjà putréfiés,
On voit danser, dans la torpeur des cieux farouches,