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la jeunesse de leconte de lisle


sais quoi d’étroit et d’antilibéral dans le jugement, et cela par une tendance naturelle, bien caractéristique de l’esprit rennais, tel qu’on peut l’observer aux environs de 1840 ; dans un milieu tout retentissant encore des fières paroles de Félicité de Lamennais, mais aussi de l’anathème scandalisé des « Bourgeois bien pensants. »

Aucune société n’était donc plus propre que celle de Rennes à réagir sur l’esprit de ce jeune poète avide de vérité, soupirant après l’idée et la grande lutte de la pensée, sur le territoire de la liberté démocratique ; car aucune n’apparaissait plus entichée de formes et de traditions, plus ennemie des idées nouvelles qui troublent la paix, la routine accoutumée. Ainsi, dès son arrivée en Bretagne, Leconte de Lisle devait connaître cette façon de penser et d’agir dans la personne du bourgeois le plus étroit, le plus irréductible, le plus « Louis-Philippe, » en un mot, dans son égoïste satisfaction et dans son entêtement de non-savoir (conformes du reste aux convenances), qu’était M. Louis Leconte, maire de Dinan, aspirant à une sous-préfecture, et représentant autorisé de l’élite de cette société bien pensante. C’est à lui, en effet, que l’on confiait le soin de comprendre et de diriger le futur étudiant en droit.

Toutefois, si cette mentalité du nouveau milieu avait été par trop formellement opposée aux idées de Leconte de Lisle, elle n’aurait pu avoir aucune influence sur lui ; mais une part de libéralisme véritable subsistait encore au sein de cette société, et c’est bien cela qui devait attirer et enthousiasmer le jeune homme, et lui cacher, du moins dans le commencement, d’autres idées moins conformes à sa nature.

C’est ainsi que, le 1er avril 1840, parut à Rennes le premier numéro d’une revue littéraire et philosophique, organe de la jeunesse sérieuse, intitulée « La Variété. » Rénovation et exaltation de la société par l’art, son affranchissement par le Christianisme : tel était le but qu’après Lamennais et Chateaubriand se proposaient ces jeunes néophytes épris d’idéal ; leur seul objectif était le progrès, loi unique et généreuse de l’humanité enfin débarrassée des liens terrestres du