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autre poids que cent millions d’almanachs démocratiques… Donnons notre vie pour nos idées politiques et sociales, mais ne leur sacrifions pas notre intelligence, qui est d’un prix bien autre que la vie ; car c’est grâce à elle que nous secouerons sur cette misérable terre la poussière de nos pieds, pour monter à jamais dans les magnificences de la vie stellaire[1]. »

Du jour où la lecture des Orientales lui avait ouvert les yeux sur la beauté de la nature, son âme était née à la poésie. Elle lui était apparue dès le premier moment avec quelque chose de religieux, de sublime ; et loin de s’affaiblir au contact des réalités décevantes, cette première notion de l’art ne fit que s’épurer et s’idéaliser en lui jusqu’à lui apparaître comme la plus sainte des religions, disons mieux, comme la seule manifestation sur la terre de l’être universel, la seule participation de l’homme à la nature divine.

Pendant son séjour en Bretagne, dans un milieu tout pénétré encore des idées de Chateaubriand, il conçut l’idée merveilleusement féconde des liens qui rattachent la poésie, où s’expriment les tendances supérieures de l’humanité, à la religion qui prétend éclairer et conduire vers une harmonieuse et paisible réalisation ce désir d’idéal. Dès lors le rôle du poète lui apparut comme un sacerdoce véritable ; sa mission bienfaisante et régénératrice lui parut être de conduire à la religion l’homme qui souffre d’espérance et d’amour irréalisé. Aussi quand il eut foi en la divinité du christianisme, quand il crut que la vérité et le bonheur se trouvaient dans la morale issue des paroles du Christ, avec les collaborateurs de La Variété, il chercha et prôna l’art chrétien. Mais bien vite il vit que le dogme catholique était impuissant à réaliser « ses tendances religieuses » ; et délaissant ceux qui l’avaient trompé, il fit de son art l’expression d’une religion plus vaste, plus universelle, religion de l’âme immense de la nature et de la souffrance éternelle de l’humanité.

Et pour élever l’art à la hauteur de sa mission, il résolut

  1. Cité par M. Henry Houssaye, Discours à l’Académie française.