Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/6

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeune héros, qui, sans s’en douter, avait pris trop vite en main la clef enchanteresse et dangereuse qui ouvre la porte des rêves. Les heures passaient encore… À cheval sur la chimère qui l’entraînait au royaume de la fantaisie, Pierre demeurait, lisant toujours… la tête un peu à l’évent, tandis que, lentement, mourait le jour.

Dans la cour, d’opulents pigeons pattus se saluaient sous le mauve abri des glycines. Sur leurs poitrines, les plumes s’étalaient luisantes comme des ardoises. Et, levant les révérences innombrables et fastueuses de ces oiseaux riches, Pierre croyait ou voulait croire à la présence de princes d’ancien régime transformés et « empigeonnés » par la baguette d’un magicien dont il devinait là-bas, dans les coins d’ombre, la présence occulte et redoutable.

Ding, ding, dong, ding, ding, dong… le bourdon de Saint-Sulpice qui, de sa voix impérieuse, clame, à ce quartier lointain la nécessité de demeurer la plus province des provinces, rappelait tout à coup l’enfant au sens du réel…

Tandis que les petites vitres des fenêtres aux teintes verdies ou mordorées frissonnaient sous l’appel des cloches, il descendait quatre à quatre, et toujours il arrivait en retard dans la haute salle à manger à lambris noirs, où ses parents se dévisageaient d’un regard un peu distant.

Puis ç’avait été la mort de son père, savant jurisconsulte, la méningite qui avait incliné tout près de la tombe la jeune tête trop lourde de pensées, la maladie de sa mère, épuisée par des secousses successives… et, depuis peu, Mme Boisgarnier et son fils goûtaient la vie des champs

« À louer, cinq heures de Paris, petit manoir Renaissance meublé à l’antique. Bois et eaux vives. Conditions exceptionnelles », telle était l’annonce d’un journal qui, depuis quelques jours, avait décidé la mère à quitter Paris pour traîner au loin son désarroi et à s’installer pendant les vacances au château de Vimpelles.

Pour Pierre, que ses parents, retenus jadis à Paris presque toute l’année, n’avaient jamais amené à la vraie campagne, ç’avait été la découverte de la nature et le ravissement d’une sensibilité toujours en éveil.

Le petit manoir de Vimpelles, réédifié sous Henri IV, n’était jadis qu’un « logis » dépendant du château féodal des Aubiers, qui s’y reliait par un savant appareil de courtines et de remparts auxquels les ans avaient fait subir de multiples dommages.

Et le château féodal lui-même, quelque peu déchu de sa splendeur, devenu moitié ferme et mi-gentilhommière, abritait depuis des siècles la famille des Aubiers, dont le déclin avait suivi celui de sa demeure.

Voilà comment Pierre était devenu depuis peu le voisin de Mlle des Aubiers. Par les fenêtres à meneaux de Vimpelles, il avait aperçu plusieurs fois la silhouette fuyante de cette jeune fée domestique, de cette Peau d’Âne ignorée, dont les destinées l’intriguaient fort.

Fort de la permission de sa mère, il allait donc pouvoir lui rendre visite ! Cette aventure prenait à ses yeux des proportions considérables. Il s’agissait d’être digne, de saluer cette fille des anciens preux, de la délivrer au besoin de quelque ensorcellement.

Une rapière et un costume honorable