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Voyons ! Du courage !… Allons-y !… D’ailleurs, derrière l’autre rive, le très vieux moulin où l’on moulut il y a longtemps, longtemps, de la blanche farine, semble les appeler du sourire énigmatique de sa porte close, qui cache tant d’inconnu.

Dans la verte pénombre des bois, ce très vieux moulin est vraiment bien bizarre.

Ce n’est qu’une haute tour à peine percée de rares fenêtres qui s’est habillée du haut en bas d’une robe de lierre. Lui aussi se fait très grand au-dessus des petits sabres verts que sont les roseaux pour se regarder complaisamment dans l’eau fuyante…

Ouf ! Risquons le plongeon dans l’inconnu. Encore plus près est amarrée, là, sur le bord, la barque merveilleuse qui conduit sans doute sur les lieux les plus enchanteurs du monde.

Une ! deux ! trois ! Les enfants sautent dedans.

Dreling ! dreling ! dreling ! dreling !

Mon Dieu ! qu’est-ce que c’est que ça ?

« Ça », c’est une sonnette qui tinte à la façon d’un signal à la porte du moulin. Elle est attachée à la chaîne du bateau sur laquelle les enfants tirent avec force.

Et voici bien maintenant la plus étrange apparition qui se puisse concevoir.

Sur le sentier de mousse proche la rive, une manière de petit fantôme accourt, en sautillant, du moulin, dont il a fait sa demeure. Est-ce une petite fille ? Est-ce une centenaire ? On ne le saurait dire, mais il semble tout de même qu’elle ait subi l’assaut des ans, lorsque sur son visage mobile au sourire d’enfant s’accusent les mille rides de son front. Elle paraît bondir au travers des âges sans s’arrêter sur aucun. Son petit nez en croc de bon hibou descend sur une bouche mince aux plis douloureux ; et, sous un bonnet à coques comme en portaient nos mères-grands, de longs yeux verts égarés et des flammes dont la douceur n’est point absente. L’étrange petite magote est vêtue de très singulière façon.

Sur ses maigres épaules descend une mantille bariolée de popeline blanche qui fut à la mode du temps du roi Louis-Philippe. Une jupe de basin soufré laisse à découvert ses pieds mignons chaussés de mules à falbalas. Ses petites mains sont à demi couvertes de mitons en filoselle jaune canari… Et quand la petite dame sera près d’eux, les enfants, intrigués, percevront à merveille que son corsage s’orne de deux portraits en miniature accolés en manière de broche à l’antique : celui d’une jeune fille qui lui ressemble à s’y méprendre et celui d’un jeune homme des temps passés qui fut beau comme le jour.

C’est Folette.