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les hommes honnêtes. Ce génie, dit-on, se nomme la conscience.

— Non, maman, fit-il. Nous allons dîner dehors… quelque part, sur l’herbe.

Un moment, Mme Boisgarnier hésita :

— Oh ! après tout, dit-elle d’un ton las, j’aime mieux pour toi le grand air que tes contes de fées. Va, mon petit, et sois sage.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Hou-hou-hou ! Trois coups de sifflet.

— Hou-hou-hou ! Quatre coups de sifflet.

C’était Pierre et Violette qui se retrouvaient, ravis et émus, aux abords de la rivière.

Tout de suite, Pierre, pénétré de la grandeur de sa mission, chuchota à l’oreille de Violette :

— Regarde ce que je viens de découvrir. C’est inouï. Je la ramasse à l’instant.

De sa poche, il tira une petite pantoufle fourrée.

— Sûr qu’elle est en vair, fit-il.

— En verre ? interrogea Violette. Mais tu es fou. Elle se casserait.

— Mais non, petite sotte. En vair. Le vair, c’est une fourrure comme y en a dans les contes de la Mère l’Oye. Sûrement, c’est la pantoufle de Cendrillon, la plus petite des trois sœurs, celle qu’on laissait près du feu quand les grandes personnes allaient au bal avec ses sœurs et qui a voulu aller au bal tout de même.

— Enfin, Pierrot, tu ne vas tout de même pas croire…

Pierre était embarrassé. Il confondait un peu le réel et l’irréel sans que ses convictions soient absolues.

— Non, c’est probablement pas la même pantoufle, ni la même Cendrillon… Mais ça doit être une autre. Ces histoires-là, ça recommence, et quand on trouve une pantoufle si petite… Enfin ! fait Pierre qui s’embrouillait un peu, elle est si petite que tu ne pourrais pas la mettre.

— Oh ! moi, reprit Violette narquoise, je ne suis qu’une paysanne, tu le sais bien.

Les enfants atteignaient maintenant les bords de la rivière.

Ah ! que c’est beau ! Pierre, qui ne connaissait pas la vraie nature sauvage, est envahi par une singulière impression… C’est comme s’il allait entrer dans un tableau du musée du Luxembourg, où son père le menait autrefois, et qui se serait animé pour le recevoir. Mais oui, en vérité, c’est pour lui, petit homme, que furent créées toutes ces belles choses !… C’est pour lui, comme pour toute l’humanité, que la rivière qui coule paresseuse et traîtresse, sillonnée parfois du vol de rubis et de saphir d’un martin-pêcheur, chante sa chanson des eaux. C’est pour lui que chantent la chanson des airs les paulownias et les catalpas qui se penchent odorants et coquets caressés par la brise sur le tain métallique des ondes, et c’est pour lui aussi que, dans le royal concert de la nature, les piverts moqueurs en robe grise, les pies en demi-deuil, les geais coléreux, couronnés de turquoises, chantent la chanson des bois.

Oui, comme c’est beau ! Mais aux côtés de Violette, moins émue encore que bien silencieuse, Pierrot, en tournant la première page de son roman d’aventures, a un peu peur… Il ressemble à quelque petit animal civilisé qui, après s’être échappé de sa cage, calcule la grandeur et les dangers de l’infini.