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Assise sur une escabelle, elle tourne d’un geste rythmé la manivelle d’un instrument sans voix.

— C’est Maria, présente Violette, ma bonne Maria, qui fait tout ici. Papa m’a confié à elle pendant son absence.

— Bonjour, mademoiselle, dit Pierre avec cérémonie.

Et comme Maria, tout à sa besogne, s’inclinait sans répondre, Pierre, se penchant à l’oreille de Violette, l’interroge à voix basse :

— Pourquoi joue-t-elle de l’orgue de Barbarie, qui est cassé ?

Violette pouffa de rire.

— Mais c’est du café qu’elle grille ! Tu ne connais rien à rien, mon pauvre Pierre.

De nouveau vexé, Pierre jette un regard circulaire sur la pièce. Les âges successifs l’ont patinée avec soin. Tout est noir, sauf çà et là quelques taches lumineuses. Sur le dressoir — comme si elle s’apprêtait pour une procession — s’aligne toute une famille de pichets d’étain dont les personnages se suivent par rang de taille jusqu’au dernier. Celui-ci est si mince dans sa robe métallique qu’on dirait le Petit Poucet. Et voilà aussi, tout là-haut sous les solives noires, le régiment serré des daubières, des tourtières, des poissonnières et des bassines. Ces sortes de boucliers domestiques, qui donnent quelque aspect belliqueux à l’atmosphère si nouvelle pour le petit Pierre, réveillent son imagination, l’inclinent à nouveau vers la féerie.

— Où est Razibus ?

— Viens voir.

Au fond de la pièce, deux colonnes romanes aux chapiteaux rustiques supportent la hotte d’une cheminée gigantesque. Nécessairement ici défila jadis tout un monde comestible qui mourut à la broche, succomba dans le coquemar, connut les tourments de la lèchefrite ou trépassa dans la cocotte…

Seul maintenant brûle un tout petit feu qui a l’air de bien s’ennuyer sous la marmite. Et tout près, à peine visible, dans la pénombre, long, maigre, souple, de peluche noire habillé, mais d’une de ces peluches que les ans ont roussie, s’étire Razibus.

En entendant du bruit, sa petite main de lion de cuisine se crispe lentement devant l’amas léger des cendres blanches. Un moment, il regarde Violette, son amie. Puis la pastille noire de ses yeux se fait toute petite et, circonspect, prudent, il les referme comme un vieux paysan madré qui cacherait deux pièces d’or dans un sac de suie. C’est maître Razibus.

— Il est bien vieux, murmure Pierre déçu, et plutôt laid. Peut-il encore courir ?

— Tu vas voir. Razibus ! Razibus !

Razibus, en effet, se lève avec une certaine diligence. Ses pattes de vieillard s’arcboutent sur les dalles, son dos essaye de monter vers le plafond. Et, tandis qu’il ronronne avec condescendance, ce seigneur matou, comme s’il accomplissait un geste protecteur, va toucher le genou de Violette de ce cierge noir que l’on appelle sa queue dont le bout, un moment, frissonne en ondes amicales.

Puis, il se rassied avec dignité en interrogeant les flammes de son regard mystérieux.

— Oui, dit Pierre gravement, il est encore assez leste. Eh bien ! Violette, je crois que je pourrais bien être ton Marquis de Carabas. Seulement, il faut faire de Razibus le Chat botté lui-même.

— Tu ris ! Le Chat botté ?

— Parfaitement. On va faire le Chat