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— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Ceci. Tu vas écrire… je ne peux pas dire comment ça doit s’écrire… Enfin, tu vas me faire un papier où tu diras que tu as fait du mal, mais que c’est la dernière fois. Plus tard, je déchirerai ça. Seulement, écris ça bien… Moi je ne sais pas, tu comprends.

— Mais tu es fou ! reprend le peintre dans un haut-le-corps. Ma parole d’honneur suffit…

— D’honneur ? répète simplement Pierre en levant ses yeux clairs et interrogateurs… ton honneur ?…

Le peintre baisse la tête.

— C’est vrai, dit-il. Il faut le retrouver, cet honneur.

Il s’était levé. Il arpentait la pièce à grands pas, murmurant des mots sans suite.

Pierre, le regardant, se dirigeait vers la sonnette…

— J’appelle ! dit-il.

— Inutile ! dit Bucaille d’un ton las.

Puis, apaisé à nouveau, comme une loque devant la table boiteuse à tapis de serge où l’encrier ébréché trônait à côté d’un buvard de molesquine, il hésita encore, se reprit, prit la plume, la rejeta, la prit encore.

Enfin, il écrivit d’un trait :

« Je reconnais avoir, dans un moment d’égarement, commis une faute grave contre la probité, que ma vie consacrée au devoir et au travail réparera.

 » Albert Bucaille »

La plume s’écrasa dans la signature.

Il tendit le papier à Pierrot, qui le lut.

— C’est bien ! dit-il. Achève ta valise, mais donne-moi… ce que tu sais.

Bucaille semblait agir et parler comme un halluciné ; il prit la cassette et la tendit à Pierre.

— Au revoir ! dit l’enfant. Car nous nous reverrons, j’en suis sûr.

— Au revoir ! Pierre. Mon avenir est entre tes mains. Tu as beau être un petit homme, j’ai peur que tu n’abuses du secret…

— Oh ! fit simplement Pierre.

— Merci. Tu m’as sauvé de moi-même.

Bucaille avançait timidement la main pour serrer celle de Pierre.

— Plus tard ! dit Pierre. Ça viendra, j’en suis sûr…

Et il sortit.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ah ! comme, en quelques minutes, Pierre avait vieilli ! En allant du bourg au moulin avec la précieuse cassette sous le bras, mille pensées s’entrechoquaient dans son cerveau bouillant. Mais ce qu’il sentait bien sans pouvoir le préciser, c’est qu’il était entré de plain-pied dans le drame brutal de la vie. Et les fées, les génies, les ogres, les lutins, les farfadets, tous ces hôtes de la forêt profonde, il comprenait maintenant