Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le silence tomba entre eux. Pierre colla son front à la vitre, regarda la route, se retourna, inspecta machinalement la chambre. Il s’arrêta devant une glace de cheminée au tain verdi devant laquelle des fleurs artificielles séchaient sous des globes poussiéreux. Et nettement, très nettement dans le miroir, il vit ceci :

Albert Bucaille, qui ne se croyait pas observé, avait vivement pris sous son oreiller un paquet mal enveloppé d’un journal dont les déchirures laissaient miroiter un métal argenté. D’un geste furtif, il l’enveloppait dans un vêtement et le glissait dans sa valise. Il avait le sourcil froncé, l’œil mauvais.

Alors, tout à coup, un doute à la fois affreux et consolant s’impose à Pierre et le glace. Malgré le choc émotif qui le laisse un moment sans voix, dépassé par les événements, il croit comprendre. Son instinct le trompe-t-il ?

Jamais ! Jamais il n’aurait soupçonné ce qu’il découvre peu à peu dans le grand émoi de son âme juvénile.

Est-ce que cet objet que le peintre, si mal à l’aise, a dissimulé bien vite, serait… on devine quoi ?…

Alors ? M. des Aubiers serait innocent ? Son intuition première ne le trompait donc pas. Mais en ce cas ? le vrai bandit… oh ! quelle horreur ! Le Prince charmant ?

Une heure tragique suffit parfois pour mûrir un individu. Pierrot n’était qu’un enfant maladif et très précoce. Quelque inouï que cela paraisse, les événements allaient en faire un petit homme que la droiture et la conscience devaient conduire par la main.

Plus tard, en revivant cette scène, il s’étonne lui-même de son sang-froid et de sa lucidité. Fut-il bien lui-même en ce moment ? L’âme de ses aïeux, les austères justiciers de la rue Férou, parla-t-elle par le miroir de ses yeux et le son de sa voix ? Mystère. Mais il sentit que quelque chose de plus fort que lui dictait sa conduite.

— Voulez-vous, dit-il au peintre en se retournant, que je vous aide à faire votre valise ?

— Non ! non ! merci… C’est tout à fait inutile.

De nouveau le silence creusa un abîme entre Pierre et le Prince charmant.

Pierre reprend enfin :

— Elle est jolie, votre valise, elle est toute neuve. Mais regardez donc, elle est trop bourrée. Elle ne ferme pas.

Pierre veut l’ouvrir.

— Laisse, laisse donc ! s’écrie brusquement le peintre.

Ils se regardent un moment sans mot dire.

Puis Pierre prononce lentement, presque bas :

— J’ai vu Folette.

— Ah ! j’aurais bien voulu lui dire adieu. Mais le temps me manque. Tu lui diras mes regrets.