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— Eh bien, répondit d’Arjols, demain repos à Coutances… en attendant, dépêchez-vous, il faut y arriver pour dîner.

— Non, non, je ne me dépêche pas… j’en ai assez de votre train d’enfer… aujourd’hui je marche avec les deux paisibles.

Il bougonna, mécontent :

— Tous quatre, comme ça, en bande, ah ! non.

— Allons, viens, lui dit Madeleine, je me dévoue.

Visiblement, elle évitait Pascal. Lui, d’ailleurs, ne paraissait point la rechercher. Et l’étape s’effectua de cette étrange manière, les deux ménages se suivant à trois ou quatre cents mètres d’intervalle.

Ils eurent l’air de s’ennuyer beaucoup. Un instant Régine se montra fort aimable avec son mari. Elle le complimentait sur sa position, sur son allure aisée, sur sa bonne mine, d’un ton affectueux, comme si elle eût voulu se faire bien voir de lui. Il fut inquiet. Se doutait-elle de quelque chose ? Par prudence il se mit en frais. Dès lors elle se tut. Lui se tut également. Devant eux, ils voyaient les silhouettes de l’autre couple, divisées par toute la largeur du chemin, l’aspect rébarbatif.

Le soir, à Coutances, on se sépara de même. Le lendemain cependant, Régine et Guillaume se promenèrent ensemble à travers la ville charmante aux églises incomparables, et, au déjeuner, Pascal sut que Madeleine avait erré de son côté. Elle le fuyait toujours, sans qu’il tâchât davantage à se rapprocher d’elle.

Mais, l’après-midi, ils se trouvèrent tous deux dans le jardin public et elle courut à sa rencontre. Un regard doux et profond les unit. Ils se sourirent. Puis Madeleine prit Pascal par le bras, l’entraîna vers un banc et lui dit :

— Vous savez, Pascal, je vous aime, je vous aime.

Elle prononça ces mots avec une joie infinie, avec un accent qui révélait combien elle était heureuse de l’aimer et heureuse de lui annoncer cette bonne nouvelle.

Il fut profondément touché. Il vit jusqu’au plus profond d’elle-même en cet élan de franchise. Il la devina simple, loyale, ardente à vivre et d’âme grave. Il ne put que lui dire :

— Ah ! Madeleine… Ah ! Madeleine…

Ils se tenaient les mains, il la contemplait éperdument des pieds à la tête, comme s’il remarquait pour la première fois sa beauté merveilleuse et diverse. Il aima ses larges yeux calmes, la noblesse de son front, toute la pureté de ce visage où s’épanouissait cependant une bouche sensuelle, aux lèvres tendues, une bouche en offrande. Il admira l’harmonie de ses épaules et de ses hanches, et ses attitudes, et ses gestes.

— J’ignorais que vous fussiez si belle, Madeleine !

— Alors, pourquoi m’avez-vous aimée ?