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jeune homme brun qui travaillait là pour se distraire. À l’aide d’une ardoise elle l’interrogea. Il écrivit qu’il était très triste et qu’il demeurait seul, rue de l’Entrepôt. Quelle chose affreuse ! Et quelle charité ce serait de lui offrir spontanément des joies inoubliables ! Elle n’y résista pas. Des émotions généreuses et des impressions nouvelles la rémunérèrent de ce dérangement. Elle ne prévit pas le désespoir de l’infortuné, dont le bonheur fut sans lendemain.

Elle eut aussi un poitrinaire. Bien des larmes payèrent le caprice de Lucie.

Et elle eut, toujours par commisération, un petit soldat, un pioupiou de la caserne de Bicêtre. Elle lui apportait, dans un garni, des gâteaux, des brioches, des tablettes de chocolat. Il les avalait comme un affamé. Et il mâchonnait :

— T’es une chouette femme, t’as vu qu’j’étais d’la classe.

Il réclama de la viande. Elle obéit. Il mangeait sans cesse, indéfiniment, des pâtés, du veau, du poulet, du porc. À la caserne il rabâchait de sa « connaissance », « eune borgeoise qui le régalait ». Un de ses pays lui dit :

— T’es un blagueur, Vitcoq, c’est une roulure.

Vitcoq se fâcha tout rouge.

— Mon vieux cochon, j’te parie cinq litres