Page:Leblanc - Les troix yeux, paru dans Je sais tout, 1919.djvu/36

Cette page a été validée par deux contributeurs.
132
JE SAIS TOUT

suite en construisant dans le jardin et à la place du Logis un second amphithéâtre, qui aurait vue sur la face postérieure du mur.

« Ce rapport, je te l’envoie par ce même courrier, sous pli cacheté et recommandé, en te demandant de ne l’ouvrir que s’il m’arrivait malheur. Par excès de prudence, je n’y inscris pas la formule chimique à laquelle mes travaux ont abouti, et qui est la base même de ma découverte. Tu la trouverais, gravée à la pointe de feu sur une petite plaque d’acier très mince que je porte toujours dans la doublure de mon gilet. Ainsi donc, tu aurais en main, et tu serais seul à les avoir, tous les éléments d’exploitation nécessaires. Pour cela, aucun besoin de qualités spéciales ou de préparation scientifique. Le rapport et la formule suffisent. Maître de l’un et de l’autre, tu seras maître de la situation, sans que personne puisse jamais t’enlever le bénéfice matériel du secret merveilleux que je te lègue.

« Et, maintenant, mon cher enfant, espérons que tous mes pressentiments sont faux, et que bientôt nous pourrons fêter ensemble les événements heureux que je prévois, et au nombre desquels se place en première ligne ton mariage avec Bérangère. Quoique je n’ai pas encore pu obtenir d’elle une réponse affirmative, et qu’elle paraisse depuis quelque temps, comme tu le disais, d’humeur assez fantasque, je ne doute pas que ton retour n’ait raison d’un refus qu’elle n’essaie même pas de justifier. Je t’embrasse affectueusement,

« Noël Dorgeroux. »

Cette lettre me parvint à une heure trop avancée pour que je pusse prendre le rapide du soir. D’ailleurs, mon départ était-il urgent ? Ne devrais-je pas attendre d’autres nouvelles ? Une remarque fortuite coupa court à mes hésitations. Tout en réfléchissant, et en tournant et retournant l’enveloppe entre mes mains d’un geste machinal, je me rendis compte qu’elle avait été ouverte une première fois, puis recollée, et même d’une façon assez grossière, par quelqu’un probablement qui n’avait disposé que de quelques instants.

Tout de suite, la situation m’apparut dans toute sa gravité. L’homme qui avait décacheté la lettre, avant qu’elle ne fût expédiée, et qui était sans doute celui dont Noël Dorgeroux dénonçait le complot, cet homme-là savait maintenant que Noël Dorgeroux portait sur lui, dans la doublure de son gilet, une plaque d’acier où était inscrite la formule essentielle.

J’examinai le paquet recommandé et constatai qu’il n’avait pas été ouvert. À tout hasard, cependant, et bien que résolu à ne pas lire le rapport de mon oncle, je dénouai la ficelle et découvris un tube de carton. À l’intérieur de ce carton, il y avait un rouleau de papier que je dépliai vivement. C’étaient des feuilles blanches. Le rapport avait été volé.

Trois heures après, je sautai dans un train de nuit, qui n’arrivait à Paris qu’au cours de la journée du dimanche. Il était quatre heures quand je traversai la gare de Meudon. Depuis deux jours au moins l’ennemi connaissait la lettre de mon oncle, son rapport, et l’effroyable moyen de se procurer la formule.


VII

l’homme aux yeux féroces

Il y avait au Logis, pour tout personnel, une vieille bonne, quelque peu sourde, fort myope, peu ingambe, et que l’on traitait, selon les occasions, de femme de chambre, de cuisinière et de jardinier. Malgré ces fonctions multiples, Valentine ne quittait guère son fourneau, lequel était situé dans un pavillon qui attenait à la maison et ouvrait directement sur la rue.