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LES TROIS YEUX
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Quant aux lettres de mon oncle, elles ne me parlaient que de l’Enclos. Les travaux avançaient rapidement. L’amphithéâtre s’élevait. Le mur était transformé. Aux dernières nouvelles, vers le milieu de mars, il ne restait plus qu’à placer les mille sièges, commandés depuis longtemps, et à disposer le rideau de fer qui devait protéger l’écran.

C’est à cette époque que les inquiétudes de Noël Dorgeroux recommencèrent ou du moins, qu’il m’en parla dans sa correspondance. Deux livres qu’il venait d’acheter à Paris, et qu’il lisait en cachette pour que nul ne pût connaître, par le choix de ses lectures, le secret de sa découverte, deux livres avaient été pris, emportés et puis remis en place. Une feuille de papier, couverte de notes et de formules de chimie, disparut. Traces de pas dans le jardin. Fracture du secrétaire, dans la pièce du logis où il travaillait depuis la destruction des hangars.

Ce dernier incident, je l’avoue, ne fut pas sans m’alarmer. Les craintes de mon oncle reposaient sur un fait sérieux. Il y avait, évidemment, quelqu’un qui rôdait autour du Logis, qui s’y introduisait, et qui poursuivait l’exécution d’un plan facile à deviner. Malgré moi, je pensais à l’homme au lorgnon et à ses relations avec Bérangère. Comment savoir ?

Je fis une nouvelle tentative auprès de la jeune fille :

« Tu es au courant de ce qui se passe au Logis, n’est-ce pas ? lui écrivis-je, Comment expliques-tu ces faits qui, pour ma part, me semblent assez significatifs ? Si tu éprouves la moindre inquiétude, avertis-moi. En attendant, veille de près… »

Coup sur coup, j’expédiai deux télégrammes. Mais ce silence opiniâtre de Bérangère, au lieu de me tourmenter, calma plutôt mes appréhensions. En cas de péril, elle n’eût point manqué de me faire venir. Non, mon oncle se trompait. Il était victime de l’état de fièvre où le mettait sa découverte. À l’approche de la date fixée par lui pour la révéler au monde, il avait peur. Mais aucune raison ne justifiait cette peur.

Quelques jours s’écoulèrent. J’écrivis alors à Bérangère une vingtaine de pages, qui ne furent jamais expédiées, et où je l’accablais de reproches. Sa conduite m’exaspérait. Je subissais une crise d’amertume et de jalousie.

Enfin, le vingt-neuf mars, un samedi, je reçus de mon oncle, un rouleau de papier recommandé, et une lettre très explicite que j’ai gardée et que je copie textuellement :

« Mon cher Victorien,

« Les récents événements, et certaines circonstances fort graves que je te raconterai, prouvent que je suis l’objet d’un complot savamment ourdi contre lequel j’ai peut-être déjà trop tardé à me défendre personnellement. Du moins mon devoir est-il, au milieu des dangers qui menacent mon existence même, de mettre à l’abri la magnifique découverte dont l’humanité me sera redevable, et de prendre des mesures de précaution que tu ne jugeras sûrement pas inutiles.

« J’ai donc fait — ce à quoi je m’étais toujours refusé — un rapport détaillé sur ma découverte, sur les études qui m’y ont amené, sur les conclusions auxquelles m’a conduit l’expérience. Conclusions irréfutables, et non point hypothèse plus ou moins solide. Si invraisemblable qu’elle soit, si contraire à toutes les lois admises, la vérité est celle que je proclame. Il n’y en a pas d’autre.

« J’ajoute, dans mon rapport, un exposé très précis des procédés techniques qui devraient être employés pour la mise en œuvre et pour le fonctionnement normal de ma découverte, ainsi que la façon toute particulière dont j’envisage l’exploitation financière de l’amphithéâtre, les annonces, la réclame, le lancement de l’affaire, et les développements qu’on pourrait lui donner par la