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Une maladie se déclara ; il mourut trois jours après… Et mes deux filles ainées tombèrent malades aussi, et elles moururent dans la même semaine. Et puis ce fut le tour de mon fils aîné, et puis le tour de mon autre fille, et ils moururent tous deux… Et puis, enfin, le dernier tomba malade aussi, mon petit garçon, un tout petit à peine sevré…

Elle tremblait de tous ses membres, et un tel désespoir l’agitait encore qu’elle ne vit pas le trouble de l’étranger.

— Eh bien ! eh bien ! murmura-t-il, achevez. Le petit, le dernier, il est mort comme les autres, n’est-ce pas, il est mort aussi ?

Elle dit à voix basse :

— Je ne sais pas.

— Comment ! vous ne savez pas ?

— Non, j’avais trop souffert, toutes ces morts, le père, quatre enfants, et puis celui-là qui allait mourir… j’étais folle de douleur, je n’ai pas eu le courage, non, je n’ai pas voulu savoir, j’ai voulu garder mon espérance, si faible qu’elle soit, un doute, et je me suis enfuie…

Il lui secoua le bras violemment.

— Comment s’appelait-il, celui-là ?

— Guillaume.

Il se leva d’un bond. La vieille pleurait, perdue dans ses souvenirs. Oh ! cette histoire navrante que son tuteur lui avait racontée au sortir du collège, cette histoire qui était la sienne, à n’en point douter, et qu’il entendait maintenant de la bouche de cette vieille paysanne ! « Ma mère ! » balbutia-t-il. Quelque chose palpitait en lui, une émotion profonde, non qu’il se sentit attiré vers elle, mais le miracle de cette rencontre le bouleversait. Il fut sur le point de s’agenouiller et de l’entourer de ses bras. À ce moment, elle reprit :