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Ils souffraient du mal d’idéal. Vainement, Pierre, surmontant sa gêne, caressait ce corps, s’emparait de lui, jouissait de lui ; il le sentait inaccessible. Quelque chose de mystérieux l’en séparait invinciblement, quelque chose de matériel presque, qui prenait en sa pensée une sorte de personnalité. C’était l’idée d’une perfection surhumaine, au-delà des rêves d’art les plus sublimes. Ces dignes de statue lui cachaient la femme vivante, et, pareillement, elle se trouvait emprisonnée, pour ainsi dire, dans les courbes merveilleuses de son corps.

Et ils restaient silencieux et froids l’un près de l’autre, comme s’ils fussent restés auprès d’une troisième personne, émanée de lui aussi bien que d’elle, la beauté de Mathilde, cette beauté qu’ils étaient impuissants à saisir et à maîtriser.

— Il n’y a pas de fusion possible entre la nature humaine et la perfection, disait Pierre.

Que de fois ils pleurèrent ensemble, si unis par leurs âmes meurtries et désireuses, si divisés par le miracle détestable de cette perfection !

Or, Pierre dut partir en voyage. Et, ce voyage, il le prolongea au-delà des qua-