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C’est un matin donc que je me présentai chez elle. Oh ! comme j’avais peur !

En me voyant, elle devint toute pâle. J’essayai de lui prendre la main. Elle me repoussa. Nous ne bougions plus ni l’un ni l’autre. Enfin, je me mis à genoux devant elle.

— Nanthilde, je vous aime et je vous demande pardon.

Elle murmura d’une voix sourde :

— Que voulez-vous ? Que voulez-vous ?

— Reprendre la vie où nous l’avons laissée, lui dis-je en tremblant.

Alors, elle se précipita vers moi en criant :

— Mais vous ne savez donc pas ? Mais, j’aime, j’aime ! Vous entendez, j’aime !

— Tu aimes, lui ai-je dit, sans bien comprendre.

Était-il possible qu’elle pût aimer, elle ! Je lui demandai :

— Qui aimes-tu ?

Et elle me répondit très simplement :

— J’aime votre père, je suis la maîtresse de votre père.

L’aveu terrible se prolongea dans le silence. Les mots en résonnaient, inexorables. Et il en vint d’autres qui résonneront toujours dans le silence de ma vie, d’autres qu’elle prononça sans haine ni méchanceté.

— Je ne vous ai jamais aimé. Dès la première nuit, j’ai eu horreur de vos caresses. Lui, je l’ai aimé du premier jour, et c’est moi, je vous le jure, c’est moi qui ai mendié ses baisers.

Je baissais la tête sous l’insulte.

J’avais l’impression que je me heurtais à un amour immense, indestructible.

Une dernière fois, je la regardai, je vis sa haute taille, ses épaules larges, sa gorge puissante. Et je m’en allai.