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ses bras. Pourtant, il ne voulut les confier à personne, et, sans plus s’occuper de moi, il s’en retourna au village, suivi de sa femme.

Cette entrée dut lui être douce. Il jetait aux paysans des regards de triomphe et semblait dire : « Vous voyez qu’elle est revenue ! Je n’étais donc pas si bête que cela… »

Quelle fût vieillie, déformée, épaisse, très loin, hélas ! de l’image flatteuse qu’il m’en avait tracée, peu lui importait ! C’était sa femme, l’attendue, la chère attendue !

Il la conduisit chez lui. Elle retrouva leur chambre d’autrefois, toujours semblable, avec les mêmes bibelots et les mêmes tentures, mais munie seulement, au lieu du grand lit nuptial, d’un petit lit étroit et neuf.

Elle regarda le vieillard, indécise. Il l’embrassa au front, parmi les cheveux, et, se retirant, lui dit :

— Je vous laisse dans votre chambre, ma fille.

Le lendemain, m’ayant raconté ce détail, il conclut :

— N’ai-je pas eu raison, jadis, d’arranger son départ ? Elle fût partie quand même, sans doute, et je ne l’aurais jamais revue. Et elle serait seule, en quelque coin, abandonnée de tous, punie d’avoir obéi, la pauvre fille, aux instincts d’amoureuse que le hasard lui a imposés.


En vérité, M. Vivandieu avait une âme, et d’essence bien précieuse, puisqu’il y a âme chaque fois qu’il y a compréhension, bonté et miséricorde.