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Or, si belle que vous soyez, le désir que j’aurais pour vous ne pourrait être que le désir injurieux que vous inspire une jolie fille rencontrée. Non, vraiment, Armande, je ne vous connais pas.

— Eh bien ! faisons connaissance…

Une dernière fois ils se regardèrent, éperdument, prêts à se tendre la main. Mais ils ne bougèrent pas, ils ne parlèrent pas. Bien qu’il la trouvât jolie et qu’elle le jugeât à son goût, ils sentaient qu’il n’y avait pas entre eux d’attraction physique et qu’il était trop tard pour qu’ils se désirassent jamais d’un noble désir d’amour. Et Philippe dit encore :

— Voyez-vous, Armande, un seul baiser nous en eût appris bien davantage sur nous-mêmes que toutes nos confidences. Deux amoureux de village, deux brutes qui joignent leurs lèvres, pénètrent dans des profondeurs que nous n’avons même pas entrevues.

— Allez-vous-en, allez-vous-en, dit Armande en pleurant. Demain, nous recommencerons à nous écrire et tout sera réparé.

Il ne répondit pas. Il savait bien qu’ils ne pourraient plus s’écrire, puisqu’ils se connaissaient, et qu’en écrivant leur esprit serait importuné par l’évocation de leur image. Il murmura simplement :

— Adieu, Armande.

Et, entre ses larmes, elle le vit qui s’éloignait.