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Ils se regardèrent. Elle avait un joli visage de douceur et de charme, des yeux infiniment tristes et une bouche souriante et désirable. Ils se plurent.

Philippe eût voulu lui dire son impression, tout de suite, pour prévenir un silence qu’il devinait imminent, et dont il craignait la gêne. Mais il ne le put, et il parla de toute autre chose, en phrases banales et littéraires, de la ville, du ravin sinistre, de l’horizon, de solitude délicieuse autour d’eux. Et elle répondait dans le même sens, incapable, elle aussi, de paroles plus intimes. Puis, silencieusement, ils contemplèrent les collines lointaines.

D’un effort, il éclata de rire.

— Voyons, c’est trop bête, nous avons tant de choses à nous dire !

— Oui, sourit-elle, tant de bonnes choses !

Sa voix étonna Philippe, non qu’il se fût attendu à une autre voix, mais il ne s’attendait certainement pas à celle-là. D’ailleurs Armande devait éprouver la même impression à son égard. Cette idée leur interdisait toute parole. Toute parole, bien entendu, qui répondît à leur attente, car, pour les autres, ils n’avaient aucun mal à les prononcer, pas plus que deux étrangers qui se rencontrent sur un mail de province et qui échangent des idées relatives au paysage et aux mœurs de l’endroit.

Plutôt que de continuer de la sorte, ils se turent, et ils étaient très tristes l’un et l’autre. Ils auraient voulu si ardemment s’entretenir de ce qu’ils écrivaient dans leurs lettres avec une telle aisance ! Mais ils éprouvaient à s’épancher autant de répugnance que s’ils se fussent trouvés en face de véritables inconnus. Ils se faisaient l’effet de deux personnes qui n’ont point d’intérêts, point de souvenirs communs. Et aucun