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Dès lors, je m’en remis entièrement à lui, avec l’abandon que l’on aurait à l’égard d’un homme possédant le secret de notre mal et le moyen infaillible d’en calmer toutes les manifestations. Je l’édifiai scrupuleusement sur mon amour, et sa science profonde du cœur humain, s’étayant de mes aveux sincères, il connut bientôt tout mon caractère, mes défauts, mes forces, mes ressources. Aussi ses conseils étaient-ils toujours justes et profitables. Je m’en ressentais dans mes relations avec Adrienne. Elle désarmait. Elle venait à moi peu à peu, chaque jour plus assouplie, plus souriante, plus grave, plus émue.

Je me gardais bien de la remercier, suivant en cela les ordres de Gaston qui devinait sa nature ombrageuse et, au fond singulièrement honnête. Qui devinait, ai-je dit ? Non, qui savait, car voilà précisément le point essentiel de cette comédie à la fois si innocente, je le jure, et si vilaine, hélas ! Gaston connaissait les femmes en général, et les explications minutieuses que je lui apportais sur celle-ci l’éclairaient assez pour me guider. Mais quel secours venait de ce fait spécial qu’il était le mari d’Adrienne, et qu’il la connaissait mieux que toute autre femme au monde, puisqu’il l’avait aimée, puisqu’il avait réussi à se faire aimer d’elle ! Comme cela lui rendait aisée la tâche de me faire aimer à mon tour ! Il jouait à coup sûr. Il me suffisait, pour ne pas éveiller sa défiance, d’inventer certains détails accessoires qui ne pouvaient modifier son opinion.

Quant au reste, je ne craignais point qu’il m’induisît en erreur ; c’était sa femme.

Sensations délicieuses ! Sitôt blessé, j’accourais et il me pansait. Puis, guéri, armé de ses conseils, fort de sa certitude, je rentrais en campagne, et aussitôt m’accueillaient de nouvelles victoires.