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C’est au moment le plus douloureux de cette lutte qu’elle me présenta à son mari. La sympathie fut immédiate. Du moins le fut-elle chez moi, et j’ai de bonnes raisons de croire que Gaston me porta le même sentiment. Nous nous vîmes beaucoup, et, détail à noter, nous nous vîmes en dehors de sa femme : ainsi à la salle d’armes ou bien aux courses, ou au cercle. Et, tout de suite, nous causâmes comme de vieux amis.

Gaston a, sur moi, la supériorité de l’âge et, en amour, d’une expérience indiscutable. Ses bonnes fortunes sont célèbres, et son mariage n’a pu faire oublier les passions retentissantes qu’il inspira. Et vraiment les conquêtes dont il peut s’enorgueillir sont justifiées par une connaissance surprenante de la femme, par l’intuition la plus assurée de ses moindres secrets et de ses moindres instincts. Il faisait, il fait encore bon ménage avec sa femme. En réalité, il la domine. Parfois je soupçonne en tremblant qu’Adrienne l’aime, bien que… bien que…

Amoureux comme je l’étais, je l’amenai inévitablement à parler d’amour. La précision et la subtilité de ses vues m’étonna. On aurait cru que, pour lui, le cerveau des femmes s’était ouvert, et qu’il avait pu déchiffrer le langage mystérieux et incohérent de leurs pensées et de leurs rêves, et de leurs instincts. Ses yeux voyaient des choses fort obscures. Il parlait comme un homme qui sait.

Son influence sur moi fut rapide et forte, au point que je la subis encore. Au reste, pourquoi tenterais-je de m’en affranchir puisqu’elle est légitime et qu’elle me fut précieuse ? Je lui dois tant !