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Elle ne le vit pas les jours suivants. À sa place vint un vieux domestique qui lui ouvrit la porte de sa prison, et elle eut ainsi le loisir de se promener dans le grand parc toutes les après-midi. Mais elle ne songeait pas à s’enfuir, ni même à s’approcher des murs de l’enceinte, car elle devinait autour d’elle, derrière les massifs profonds, la présence de Jean. Elle ne cessait de pleurer. Jean cueillit des feuilles mouillées de ses larmes.

La huitième nuit, il pénétra de nouveau dans la chambre d’Éveline, et la lutte recommença, avec les mêmes phases, avec le même dénouement. Dès lors, elle fut sa chose. Non qu’elle consentit jamais à se soumettre et que sa volonté faiblit un seul instant, mais elle était à lui comme le faible est au fort, comme l’esclave est au maître. Chaque fois, au cours des longues années, il la trouva vêtue et prête à la même résistance. À quoi bon ? il la déshabillait aussi aisément que si elle s’y fut complu et, l’étreignant de ses mains terribles, après quelques minutes, la réduisait à le subir. Immobile, les yeux clos, Éveline se sentait alors enveloppée d’un grand baiser qui lui couvrait la bouche, la gorge, toute la chair.

Cela dura sept ans, sept ans de martyre atroce, de solitude épouvantable, de misère et de désespoir. À cette époque la corde fut prête. Une nuit, Éveline parvint à en fixer une extrémité à la fenêtre, descendit le long du mur, sur les rochers qui dévalent vers le fleuve, s’aventura dans l’immensité des landes et, au matin, épuisée, fut recueillie par des paysans. Elle était libre.