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Il la regarda une seconde. Il sentait en lui une étrange douleur. Après quelques mots indécis, il se tut.

Il revint le lendemain et les jours suivants, et il ne parlait plus de son amour. Mais une grande tristesse assombrissait son visage. Il semblait timide avec elle, presque peureux, comme un enfant qui s’effarouche d’un mot ou d’un geste. Et à la fin il parut souffrir beaucoup.

Un soir de silence, il éclata en sanglots.

— Je vous aime.

— Non, fit-elle.

— Je vous aime, je vous jure que je vous aime.

— Non, non, c’est un jeu, une comédie dont j’ai suivi toutes les phases, mais vous ne m’aimez pas, on n’aime pas celles qui sont laides, sans grâce, sans séduction. Comment voulez-vous que je vous croie ? On aime la beauté, le charme, quelque chose… Mais que peut-on aimer en moi ?

Il lui prit les mains, et, avec une exaltation où tremblait toute sa vie anxieuse, toute son âme enfin sincère, il s’écria :

— Il n’y a pas de beauté, il n’y a pas de laideur… ce sont des mots… je ne sais pas si tu es laide ou belle, mais je sais que je te vois belle… je sais que je t’aime !

Elle palpitait sous le torrent des paroles douces et brûlantes. Mais, se reprenant, elle dit :

— Je ne vous crois pas.

Il vit ses yeux froids, son visage fermé, et il comprit que jamais elle ne le croirait. C’était la première fois qu’il aimait sincèrement, et celle-là ne le croyait pas. Quel détresse !