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lèvres délicates, la nuque chaude, le rythme du corsage, l’harmonie des hanches. Il avait alors un pauvre sourire de damné.

Le jour du départ, il explora une dernière fois les allées profondes du jardin, des souvenirs trainaient au pied des arbres, de son cœur gonflé des larmes jaillirent, il s’abattit sur un banc, et soudain Jeanne apparut et lui dit :

— Debout, Pierre, et regarde-moi.

Il la regarda. Le dur visage de mort s’était détendu, tout imprégné maintenant de mansuétude et de pitié. Il comprit, elle dut le soutenir entre ses bras.

— Je te pardonne, Pierre, car tu as agi dans la foi de ton amour, autant pour mon bonheur que pour le tien… Je te pardonne… Vingt ans d’affection et de confiance, je n’ai rien à regretter.

Il voulut l’interrompre. Elle prononça :

— Ma vie s’est éclairée de douleur. Je vois des choses cachées et je te le dis : ma part est belle… tu m’as fait, au contact de ton âme, une âme de lumière et de vérité… Qu’importent les autres joies !

Il protesta, éperdu :

— Soit, effaçons le passé… Mais l’avenir ?

— L’avenir sera semblable au passé. Il s’écoulera ici, tu as été tout pour moi, tu seras tout.

— Non, non, s’écria-t-il, il y a autre chose, il y a la vie elle-même que tu ignores.

— Je connais la vraie, mon Pierre, et mieux que bien d’autres.

— Qu’en sais-tu ? Sais-tu ce que réserve le baiser de l’homme ?

Elle frissonna, toute faible à son tour, presque craintive, et supplia :

— Aie pitié, j’ai peur, aide-moi contre la tentation, le salut est ici, et le devoir, et le bonheur.

La voix haletante, il murmura :

— Alors tu ne seras jamais mère… tu acceptes cela ? jamais de petit être frêle à nourrir, à soigner, jamais de petite âme pure à éveiller ?

Par un brusque mouvement, elle le cou-