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Haletant, Hervé plongeait toujours ses yeux dans les yeux limpides. Régine dit :

— Alors… oh ! tu ne me croiras pas… alors, J’ai eu recours à une vilaine ruse… l’ennemi que je redoutais, je l’ai créé moi-même, me comprends-tu, Hervé ? Ce Marc n’existe pas… il ne ressemble à personne… je ne sais pas comment il est… Il a des moustaches blondes et des yeux noirs, il est grand et gros pour ne pas être comme toi, mais, lui, je ne le connais pas, il reste en mon imagination, fait de pièces et de morceaux, selon mon caprice du jour. Et je lui donne des rendez-vous, j’y vais, je raconte ce qui s’est passé, j’exalte son amour, je chante le mien. Nous avons des parties fines, on se cache derrière le grillage des baignoires… Et j’écris tout cela, je discute sur la passion, sur la jalousie… Car je suis très jalouse avec lui, et je lui fais des scènes, et il me brutalise, et je le déteste… Mon pauvre Hervé, me comprends-tu ?… C’est le contraire de toi… Tout ce que j’ai de bien correspond à toi, ce que j’ai de mal c’est sa part. Et il : me suffit… il trompe mes rêves mauvais… c’est l’aventure de ma vie… Elle me garantira des autres…

Pas une fois Hervé n’avait surpris dans l’onde pure des yeux le moindre courant d’imposture. Et le geste des lèvres gardait sa naïveté. Il espéra. L’arbre de douleur s’étiolait en lui. Les racines mouraient une à une. Régine songea tout haut :