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Ils se prêtèrent complaisamment à l’épreuve imposée, chacun se montrant tel qu’il était, sans chercher à s’embellir de dons factices, car ils redoutaient la clairvoyance de son jugement. D’ailleurs, ils l’aimaient d’une passion si violente qu’ils devenaient incapables de la moindre habileté.

La vie fut délicieuse et diverse. Suivant son humeur, Marie-Anne appelait l’un ou l’autre auprès d’elle. En général, elle gardait Guillaume dans l’intimité. de son boudoir, aux heures chaudes du jour, ou durant les soirs d’orage. Il la brûlait alors de son désir puissant. Entre sa chair et la sienne, il y avait un échange de caresses invisibles et de contacts impalpables. Il la suppliait. Plusieurs fois, il tenta de la prendre de force. Elle sortait de là brisée, inassouvie, décidée à lui appartenir.

Mais Philippe l’entrainait dehors, vers la douceur et vers la splendeur des choses. Et c’était un enchantement. Le soleil qui meurt, la lune qui rêve, tous les oiseaux et tous les arbres, tous les bruits et tous les parfums, il en disposait comme de philtres magiques. Tout ce qu’il y a de beau palpitait en sa voix troublante. Tout ce qu’il y a de mystérieux murmurait en ses silences. Elle se sentait plus grande, et plus belle, et plus harmonieuse. Et par lui, plus que par Guillaume peut-être, elle avait de l’amour une sensation directe et réelle.

Elle ne se déterminait point cependant. Lequel choisir ? Qui préférait-elle ? Elle n’en savait rien. Impatients, malheureux, ils la pressaient de questions :