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table, Hubert serrait entre ses poings sa mince figure blanche. Puis il eut un petit sourire froid, et ce fut d’une voix presque indifférente, et où cependant je percevais parfois une sorte de tremblement, qu’il me répondit :

« — C’était moi. J’ai aimé une seule fois dans la vie, et celle que j’ai aimée consentit à devenir ma femme. Nous fûmes très heureux, Édith et moi… Tu te souviens, Rodolphe, combien nous fûmes heureux ? Elle était si belle et je l’aimais tellement. Elle m’aimait beaucoup aussi d’abord, d’un amour frais et ingénu, et sa pureté faisait que j’osais à peine la toucher, comme si chacun de mes baisers se fût adressé à une vierge.

« Or, écoute bien, je dus m’absenter pendant six mois. Et quand je revins, elle me prit à part, et voici l’étrange langage qu’elle me tint :

« — Hubert, je ne t’aime plus.

« Elle dit cela posément, les yeux dans mes yeux, et, sans pitié, elle ajouta :

« — J’en aime un autre, un autre auquel j’appartiens, tu entends, un autre qui est mon amant.

« Était-elle folle ? Son regard avait quelque chose d’inquiétant et sa voix était bizarre, et je sentais qu’elle parlait malgré elle, sous l’influence d’une force intérieure et toute puissante. J’eus envie de la tuer, puis j’éclatai en sanglots, et vraiment je ne croyais pas que ce fût vrai, non, je ne pouvais le croire. Mais elle écarta mes mains et me dit méchamment :