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Elle hésitait, non par pudeur, mais pour moi, par crainte de ma peine. Et de fait… Oh ! ce que je souffrais ! Elle, ma Christine, dire de telles choses, annoncer de telles infamies… Je balbutiai :

— Et moi ? et moi ? Vous ne m’aimez donc pas ?

— Pas de la sorte, non, pas de la sorte… Sans quoi… sans quoi je serais votre maîtresse.

Sa voix grave me fit tressaillir. Elle était debout devant moi, créature admirable, haute et forte, aux yeux ardents, aux lèvres charnues. Son corsage se tendait sous l’effort de sa poitrine. Elle semblait vraiment prête à l’amour, faite pour l’amour. Elle me dit encore :

— Je me rends compte que je ne suis pas comme celles qui m’entourent ; elles ont raison d’agir comme elles agissent ; moi, ai-je raison ou tort de faire ce que je vais faire ? je ne sais pas, je ne sais pas non plus si je serai heureuse ou malheureuse : tout m’est égal pourvu que je puisse m’abandonner à mes instincts.

Je me levai.

— Christine, que votre premier baiser, du moins, soit pour moi.

— Non, non, répondit-elle, je ne donnerai jamais ma bouche quand je n’aurai pas envie de la donner, mais toutes les fois que j’aurai envie de la donner, je la donnerai.