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— Mais de quel droit, monsieur ? C’est une effraction.

— L’effraction est permise quand il s’agit de secourir un de ses semblables.

— Encore une fois, qui êtes-vous ?

— Le prince Rénine… un ami de madame, fit Rénine en se penchant sur Hortense et en lui baisant la main.

Pancardi parut suffoqué et marmotta :

— Ah ! je comprends… C’est vous l’instigateur du complot… vous qui avez envoyé madame…

— Moi-même, monsieur Pancardi, moi-même.

— Et quelles sont vos intentions ?

— Très pures, mes intentions. Pas de violence. Simplement un petit entretien après lequel vous me remettrez ce que je viens chercher à mon tour.

— Quoi ?

— L’agrafe de corsage.

— Cela, jamais, fit l’antiquaire avec force.

— Ne dites pas non. C’est couru d’avance.

— Il n’y a pas de force au monde, monsieur, qui puisse me contraindre à un pareil acte.

— Voulez-vous que nous convoquions votre femme ? Mme Pancardi se rendra peut-être mieux compte que vous de la situation.

L’idée de n’être plus seul en présence de cet adversaire imprévu parut plaire à Pancardi. Il y avait tout près de lui un timbre. Il appuya trois fois sur la sonnerie.

— Parfait ! s’écria Rénine. Vous voyez, chère amie, M. Pancardi est tout à fait aimable. Plus rien du diable déchaîné qui vous terrorisait tout à l’heure. Non… il suffit que M. Pancardi soit en face d’un homme pour retrouver ses qualités de courtoisie et d’obligeance. Un vrai mouton ! Ce qui ne veut pas dire que les choses vont aller toutes seules. Loin de là ! Rien d’entêté comme un mouton…

Tout au bout du magasin, entre le bureau de l’antiquaire et l’escalier tournant, une tapisserie fut soulevée, livrant passage à une femme qui tenait le battant d’une porte. Elle avait peut-être une trentaine d’années. Vêtue fort simplement, elle semblait, avec son tablier, plutôt une cuisinière qu’une patronne. Mais le visage était sympathique et la tournure avenante.

Hortense, qui avait suivi Rénine, fut très étonnée de reconnaître en elle une femme de chambre qu’elle avait eue à son service, étant jeune fille :

— Comment ! C’est vous, Lucienne ? Vous êtes Mme Pancardi ?

La nouvelle venue la regarda, la reconnut aussi, et parut embarrassée. Rénine lui dit :

— Votre mari et moi, nous avons besoin de vous, madame Pancardi, pour terminer une affaire assez compliquée… une affaire où vous avez joué un rôle important…

Elle avança, sans un mot, visiblement inquiète, et elle dit à son mari, qui ne la quittait pas des yeux :

— Qu’est-ce qu’il y a ? Que me veut-on ? Quelle est cette affaire ?

À voix basse, Pancardi articula ces quelques mots :

— L’agrafe… l’agrafe de corsage…

Il n’en fallut pas davantage pour que Mme Pancardi entrevît la situation dans toute sa gravité. Aussi n’essaya-t-elle pas de faire bonne contenance ou d’opposer d’inutiles protestations. Elle s’affaissa sur une chaise, en soupirant :

— Ah ! voilà… je m’explique… Mlle Hortense a retrouvé la piste… Ah ! nous sommes perdus !…

Il y eut un moment de répit. À peine la lutte avait-elle commencé entre les adversaires que le mari et la femme prenaient l’attitude de vaincus qui n’espèrent plus qu’en la clémence du vainqueur. Immobile et les yeux fixes, elle se mit à pleurer. Penché sur elle, Rénine prononça :

— Mettons les choses au point, voulez-vous, madame ? Nous y verrons plus clair et je suis sûr que notre entrevue trouvera sa solution toute naturelle. Voici. Il y a neuf ans, alors que vous serviez en province chez Mlle Hortense, vous avez connu le sieur Pancardi, lequel bientôt devint votre amant. Vous étiez Corses tous les deux, c’est-à-dire d’un pays où les superstitions sont violentes, où la question de chance et de malchance, la jettatura, le mauvais sort, influent profondément sur la vie de chacun. Or, il était avéré que l’agrafe de corsage de votre patronne avait toujours porté chance à ceux qui la possédaient. C’est la raison pour laquelle, dans un moment de défaillance, stimulée par le sieur Pancardi, vous avez dérobé ce bijou. Six mois après, vous quittiez votre place et vous deveniez Mme Pancardi. Voilà, résumée en quelques phrases, toute votre aventure, n’est ce pas ? toute l’aventure de deux personnages qui seraient restés honnêtes gens s’ils avaient pu résister à cette tentation passagère.

» Inutile de vous dire à quel point vous