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Tout étant prêt, il n’y avait plus qu’à réveiller Dalbrèque et ses gardiens.

Morisseau s’y rendit lui-même. Mais il constata que les deux hommes étaient profondément endormis et qu’il n’y avait personne dans le lit. Dalbrèque s’était évadé.

Le coup de théâtre ne causa pas, sur le moment, une grande perturbation parmi les policiers et les gendarmes, tellement ils étaient sûrs que le fugitif, avec sa jambe cassée, serait vite repris. L’énigme de cette fuite, effectuée sans que les gardiens entendissent le moindre bruit, n’intrigua personne. Dalbrèque se cachait inévitablement dans le verger.

Tout de suite la battue s’organisa. Et le résultat faisait si peu de doute que Rose-Andrée, de nouveau bouleversée, se dirigea vers l’inspecteur principal.

— Taisez-vous, murmura Serge Rénine qui la surveillait.

Elle balbutia :

— On va le retrouver… l’abattre à coups de revolver.

— On ne le retrouvera pas, affirma Rénine.

— Qu’en savez-vous ?

— C’est moi, avec l’aide de mon chauffeur, qui l’ai fait évader cette nuit. Un peu de poudre dans le café des inspecteurs, ils n’ont rien entendu.

Elle fut stupéfaite et objecta :

— Mais il est blessé, il agonise dans quelque coin.

— Non.

Hortense écoutait, sans comprendre davantage, mais rassurée et confiante en Rénine.

Il reprit à voix basse :

— Jurez-moi, madame, que dans deux mois, quand il sera guéri et que vous aurez éclairé la justice en son endroit, jurez-moi que vous partirez avec lui pour l’Amérique.

— Je vous le jure.

— Et que vous l’épouserez ?

— Je vous le jure.

— Alors, venez, et pas un mot, pas un geste d’étonnement. Une seconde d’oubli et vous pouvez tout perdre.

Il appela Morisseau, qui commençait à se désespérer, et lui dit :

— Monsieur l’Inspecteur principal, nous devons conduire madame à Paris et lui donner les soins nécessaires. En tout cas, quel que soit le résultat de vos recherches — et je ne doute pas qu’elles aboutissent — soyez certain que vous n’aurez pas d’ennuis à cause de cette affaire. Ce soir même, j’irai à la préfecture où j’ai de bonnes relations.

Il offrit son bras à Rose-Andrée et la conduisit vers l’auto. En marchant, il sentit qu’elle chancelait et qu’elle s’accrochait à lui.

— Ah, mon Dieu, il est sauvé… je le vois, murmura-t-elle.

Sur le siège, à la place de Clément, elle avait reconnu, très digne dans sa tenue de chauffeur, la visière basse, les yeux dissimulés par de grosses lunettes, elle avait reconnu son amant.

— Montez, dit Rénine.

Elle s’assit près de Dalbrèque. Rénine et Hortense prirent place dans le fond. L’inspecteur principal, le chapeau à la main, s’empressait autour de la voiture.

On partit. Mais deux kilomètres plus loin, en pleine forêt, il fallut s’arrêter. Dalbrèque, qui, au prix d’un effort surhumain, avait pu surmonter sa douleur, eut une défaillance. On l’étendit dans la voiture. Rénine se mit au volant, Hortense à son côté. Avant Louviers, nouvel arrêt : on cueillait au passage le chauffeur Clément, qui cheminait vêtu de la défroque de Dalbrèque.

Puis il y eut des heures de silence. L’auto filait rapidement. Hortense ne disait rien et n’avait même pas l’idée d’interroger Rénine sur les événements de la nuit précédente. Qu’importaient les détails de l’expédition et l’exacte façon dont il avait procédé pour escamoter Dalbrèque ! Cela n’intriguait pas Hortense. Elle ne songeait qu’à sa sœur, et elle était toute remuée par tant d’amour et tant d’ardeur passionnée.

Rénine dit simplement, en approchant de Paris :

— J’ai parlé cette nuit avec Dalbrèque. Il est certainement innocent de l’assassinat du bijoutier. C’est un brave et honnête homme, tout différent de ce qu’il paraît ; un tendre, un dévoué, et qui est prêt à tout pour Rose-Andrée.

Et Rénine ajouta :

— Il a raison. Il faut tout faire pour celle que l’on aime. Il faut se sacrifier à elle, lui offrir tout ce qu’il y a de beau dans le monde, de la joie, du bonheur… et, si elle s’ennuie, de belles aventures qui la distraient, qui l’émeuvent et qui la font sourire… ou même pleurer.

Hortense frémit, les yeux un peu mouillés. Pour la première fois, il faisait allusion à l’aventure sentimentale qui les unissait par un lien, fragile jusqu’ici, mais auquel chacune des entreprises qu’ils poursuivaient ensemble dans l’angoisse et dans la fièvre, donnait plus de force et plus de résistance. Déjà, près de cet homme extraordinaire, qui soumettait les événements à sa volonté et semblait jouer avec le destin de ceux qu’il combattait ou qu’il protégeait, elle se sentait faible et inquiète. Il lui faisait peur à la fois et l’attirait. Elle pensait à lui comme à son maître, quelquefois comme à un ennemi contre qui elle devait se défendre, mais le plus souvent comme à un ami troublant, plein de charme et de séduction…