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— Un coup d’épaule, dit-il aux inspecteurs, et vous pourrez vous introduire quand le moment sera venu.

— Le moment est venu, grogna Morisseau, qui déplorait tous ces retards.

— Pas encore. Je veux d’abord me rendre compte de ce qui se passe sur l’autre façade. Quand je sifflerai, jetez bas brusquement ces planches, et sus à l’homme, le revolver au poing. Mais pas avant, n’est-ce pas ? Sans quoi nous risquons gros…

— Et s’il se débat ? C’est une brute forcenée.

— Tirez-lui dans les jambes. Et surtout qu’on le prenne vivant. Vous êtes cinq, que diable !

Il entraîna Hortense qu’il ranima en quelques paroles :

— Vite !… Il n’est que temps d’agir. Ayez pleine confiance en moi.

Elle soupira :

— Je ne comprends pas… je ne comprends pas.

— Moi non plus, dit Rénine. Il y a dans tout cela quelque chose qui me déconcerte. Mais j’en comprends assez pour craindre l’irréparable.

— L’irréparable, dit-elle, c’est le meurtre de Rose.

— Non, déclara-t-il, c’est l’action de la justice. Et c’est pourquoi je veux prendre les devants.

Ils contournèrent la maison en se cognant dans les massifs d’arbustes. Puis Rénine s’arrêta devant une des fenêtres du rez-de-chaussée…

— Écoutez, dit-il, on parle… Cela vient de la pièce qui est là.

Ce bruit de voix laissait supposer qu’il devait y avoir quelque lumière pour éclairer celui ou ceux qui parlaient. Il chercha, écarta les plantes dont la végétation tardive masquait les volets clos, et vit qu’une lueur filtrait entre deux de ces volets qui étaient mal joints.

Il put passer la lame de son couteau qu’il fit glisser doucement, et avec lequel il souleva un loquet intérieur. Les volets s’ouvrirent. De lourds rideaux d’étoffe s’appliquaient contre la fenêtre, mais en s’écartant dans le haut.

— Vous allez monter sur le rebord, chuchota Hortense.

— Oui, et couper un carreau. S’il y a urgence, je braque mon revolver sur l’individu, et vous donnerez un coup de sifflet pour que l’attaque ait lieu par là-bas. Tenez, voici le sifflet.

Il monta avec beaucoup de précaution et se dressa peu à peu contre la fenêtre jusqu’à l’endroit où les rideaux étaient écartés. D’une main il engagea son revolver dans l’échancrure de son gilet. De l’autre, il tenait une pointe de diamant.

— Vous la voyez ? souffla Hortense.

Il colla son front à la vitre, et aussitôt il lui échappa une exclamation étouffée.

— Ah ! dit-il, est-ce croyable ?

— Tirez ! Tirez ! exigea Hortense.

— Mais non…

Alors je dois siffler ?

— Non… non… au contraire…

Toute tremblante, elle mit un genou sur le rebord, Rénine la hissa contre lui et s’effaça pour qu’elle pût voir également.

— Regardez.

Elle appuya son visage.

— Ah ! fit-elle à son tour avec stupeur.

— Hein ! qu’en dites-vous ? Je soupçonnais bien quelque chose, mais pas ça !

Deux lampes sans abat-jour et vingt bougies peut-être illuminaient un salon luxueux, entouré de divans et orné de tapis orientaux. Sur un de ces divans, Rose-Andrée était à moitié couchée, vêtue d’une robe en tissu de métal qu’elle portait dans le film de la Princesse Heureuse, ses belles épaules nues, sa chevelure tressée de bijoux et de perles.

Dalbrèque était à ses pieds, à genoux sur un coussin. Habillé d’une culotte de chasse et d’un maillot, il la contemplait avec extase. Rose souriait, heureuse, et caressait les cheveux de l’homme. Deux fois, elle se pencha sur lui, et lui baisa d’abord le front, puis la bouche, longuement, tandis que ses yeux, éperdus de volupté, palpitaient.

Scène passionnée ! Unis par le regard, par les lèvres, par leurs mains frissonnantes, par tout leur jeune désir, ces deux êtres s’aimaient évidemment d’un amour exclusif et violent. On sentait que, dans la solitude et la paix de cette chaumière, rien ne comptait plus pour eux que leurs baisers et leurs caresses.

Hortense ne pouvait détacher ses yeux de ce spectacle imprévu. Était-ce là cet homme et cette femme dont l’un, quelques minutes auparavant, emportait l’autre dans une sorte de danse macabre qui semblait tourner autour de la mort ? Était-ce vraiment sa sœur ? Elle ne la reconnaissait pas. Elle voyait une autre femme, animée d’une beauté nouvelle et transfigu-