Page:Leblanc - Les Huit Coups de l’horloge, paru dans Excelsior, 1922-1923.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Qu’est-ce que tu dis ?

— Je dis que ces lettres m’appartenaient. Je les ai reprises… Ou plutôt mon frère les a reprises.

— Tu les as volées, misérable ! et tu vas me les rendre, s’écria Thérèse en la bousculant.

— Je ne les ai plus. Mon frère les a gardées. Il les a emportées.

— Il me les rendra.

— Il est parti.

— On le retrouvera.

— On le retrouvera certainement, mais pas les lettres. De telles lettres se déchirent.

Thérèse chancela et tendit les mains du côté de Rénine d’un air désespéré.

Rénine prononça :

— Ce qu’elle dit est la vérité. J’ai suivi le manège du frère, tandis qu’il fouillait dans votre sac. Il a pris votre portefeuille, il l’a visité devant sa sœur, il est revenu le remettre en place, et il est parti avec les lettres.

Rénine fit une pause et ajouta :

— Ou du moins avec cinq des lettres.

La phrase fut prononcée négligemment, mais, tous, ils en saisirent l’importance considérable. Les deux femmes se rapprochèrent de lui. Que voulait-il dire ? Si Frédéric Astaing n’avait emporté que cinq lettres, où donc se trouvait la sixième ?

— Je suppose, dit Rénine, que, quand le portefeuille a glissé sur le galet, cette lettre s’en est échappée en même temps que la photographie et que M. d’Imbleval a dû la ramasser.

— Qu’en savez-vous ? Qu’en savez-vous ? demanda Mme Astaing d’un ton saccadé.

— Je l’ai retrouvée dans la poche de son veston de flanelle, que l’on avait accroché près du lit. La voici. Elle est signée Germaine Astaing, et elle suffit amplement à établir les intentions de celle qui l’écrivit et les conseils de meurtre qu’elle donnait à son amant. Je suis même confondu qu’une telle imprudence ait pu être commise par une femme aussi habile.

Mme Astaing était livide et si décontenancée qu’elle ne chercha pas à se défendre. Rénine continua, en s’adressant à elle :

— Pour moi, madame, vous êtes responsable de tout ce qui s’est passé. Ruinée sans doute, à bout de ressources, vous avez voulu profiter de la passion que vous inspiriez à M. d’Imbleval pour vous faire épouser malgré tous les obstacles et pour mettre la main sur sa fortune. Cet esprit de lucre, ces calculs abominables, j’en ai la preuve et je pourrai la fournir. Quelques minutes après moi, vous avez fouillé dans la poche de ce veston de flanelle. J’en avais enlevé la sixième lettre, mais j’y avais laissé un bout de papier, que vous cherchiez ardemment et qui, lui aussi, avait dû tomber du portefeuille. C’était un chèque au porteur de 100,000 francs, signé par M. d’Imbleval au profit de votre frère… Simple cadeau de noces… ce qu’on appelle une épingle de cravate. Selon vos instructions, votre frère a filé en auto vers Le Havre et, sans aucun doute, s’est présenté avant 4 heures à la banque où cette somme était déposée. Je dois vous avertir, en passant, qu’il ne la touchera pas, car j’ai fait téléphoner à cette banque pour annoncer l’assassinat de M. d’Imbleval, ce qui suspend tout paiement. De tout cela, il résulte que la justice aura entre les mains, si vous persistez dans vos projets de vengeance, toutes les preuves nécessaires contre vous et votre frère. Je pourrais y ajouter, comme témoignage édifiant, le récit de la conversation téléphonique que l’on a surprise entre votre frère et vous la semaine dernière, conversation où vous parliez en espagnol mitigé de javanais. Mais je suis sûr que vous ne m’obligerez pas à ces mesures extrêmes et que nous sommes bien d’accord, n’est-ce pas ?

Rénine s’exprimait avec un calme impressionnant et la désinvolture d’un monsieur qui sait que personne n’élèvera la moindre objection contre ses paroles. Il semblait vraiment ne pas pouvoir se tromper. Il évoquait les événements tels qu’ils s’étaient produits et en tirait les conclusions inévitables qu’ils comportaient en bonne logique. Il n’y avait qu’à se soumettre.

Mme Astaing le comprit. Des natures comme la sienne, violentes, acharnées tant que le combat est possible et qu’il reste un peu d’espoir, se laissent aisément dominer dans la défaite. Germaine était trop intelligente pour ne pas sentir que la moindre tentative de révolte serait brisée par un tel adversaire. Elle était entre ses mains. En de pareils cas, on s’incline.

Elle ne joua donc aucune comédie, et ne se livra à aucune démonstration, menace, explosion de rage, crise de nerfs, etc. Elle s’inclina.

— Nous sommes d’accord, dit-elle. Qu’exigez-vous ?

— Allez-vous-en.

— Si jamais on invoque un témoignage.