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— Ta tante a sa migraine et ne descendra pas. D’ailleurs, ajouta-t-il d’un ton bourru, cela ne la regarde pas… et toi encore moins, ma petite.

Le prince Rénine s’approcha d’Hortense. C’était un homme jeune, d’une grande élégance, le visage mince et un peu pâle, et dont les yeux avaient tour à tour l’expression la plus douce et la plus dure, la plus aimable et la plus ironique. Il s’inclina devant la jeune femme, lui baisa la main et lui dit :

— Je vous rappelle votre bonne promesse, chère madame ?

— Ma promesse ?

— Oui, il était convenu entre nous que nous recommencerions notre belle promenade d’hier, et que nous essaierions de visiter cette vieille demeure barricadée dont l’aspect nous avait intrigués… ce qu’on appelle, paraît-il, le domaine de Halingre.

Elle répliqua avec une certaine sécheresse :

— Tous mes regrets, monsieur, mais l’excursion serait longue et je suis un peu lasse. Je fais un tour dans le parc et je rentre.

Il y eut un silence entre eux, et Serge Rénine prononça en souriant, les yeux fixés aux siens, et de manière qu’elle seule entendît :

— Je suis sûr que vous tiendrez votre parole et que vous m’accepterez comme compagnon. C’est préférable.

— Pour qui ? Pour vous, n’est-ce pas ?

— Pour vous aussi, je vous l’affirme.

Elle rougit légèrement et riposta :

— Je ne comprends pas, monsieur.

— Je ne vous propose pourtant aucune énigme. La route est charmante, le domaine de Halingre intéressant. Nulle autre promenade ne vous apporterait le même agrément.

— Vous ne manquez pas de fatuité, monsieur.

— Ni d’obstination, madame.

Elle eut un geste irrité, mais dédaigna de répondre. Lui tournant le dos, elle donna quelques poignées de main autour d’elle et sortit de la pièce.

Au bas du perron, un groom tenait son cheval. Elle se mit en selle et s’en alla vers les bois qui continuaient le parc.

Le temps était frais et calme. Entre les feuilles qui frissonnaient à peine, apparaissait un ciel de cristal bleu. Hortense suivait au pas des allées sinueuses qui la conduisirent, au bout d’une demi-heure, dans une région de ravins et d’escarpements que traversait la grand-route.

Elle s’arrêta. Aucun bruit. Rossigny avait dû éteindre son moteur et cacher sa voiture dans les fourrés qui environnent le carrefour de l’If.

Cinq cents mètres au plus la séparaient de ce rond-point. Après quelques instants d’hésitation, elle mit pied à terre, attacha négligemment son cheval afin qu’au moindre effort il pût se délivrer et revenir au château, enveloppa son visage avec un long voile marron qui flottait sur ses épaules et s’avança.

Elle ne s’était pas trompée. Au premier tournant, elle aperçut Rossigny. Il courut à elle et l’entraîna dans le taillis.

— Vite, vite. Ah ! j’avais si peur d’un retard… ou même d’un changement de décision !… Et vous voilà ! Est-ce possible ?

Elle souriait.

— Ce que vous êtes heureux de faire une bêtise !

— Si je suis heureux ! Et vous le serez aussi, je le jure !