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— Monsieur l’inspecteur, voulez-vous que je la précise, moi, l’accusation, telle qu’elle apparaît dans les propos de monsieur ? Tout cela signifie qu’il y a un malhonnête homme ici, que les billets cachés par l’assassin ont été découverts, volés par ce malhonnête homme, et déposés dans un autre endroit plus sûr. Voilà bien votre idée, n’est-ce pas, monsieur ? Et c’est bien moi que vous accusez de vol, n’est-ce pas ?

Il avançait en se frappant la poitrine à grands coups.

— Moi ! moi ! j’aurais trouvé les billets ! et je les aurais gardés pour moi ! Vous osez prétendre…

Rénine ne répondait toujours pas. Dutreuil s’emporta, et prenait à partie l’inspecteur Morisseau, il s’écria :

— Monsieur l’inspecteur, je proteste énergiquement contre toute cette comédie, et contre le rôle que vous y jouez à votre insu. Avant notre arrivée, le prince Rénine nous a dit, à madame et à moi, qu’il ne savait rien, qu’il s’aventurait dans cette affaire au hasard, et qu’il suivait la première route venue, en s’en remettant à sa bonne chance. N’est-ce pas vrai, monsieur ?

Rénine ne broncha pas.

— Mais parlez donc, monsieur ! Expliquez-vous, car enfin, vous alléguez, sans donner aucune preuve, les faits les plus invraisemblables !  !  ! C’est trop commode de dire que j’ai volé les billets. Mais encore faudrait-il savoir s’ils étaient ici ? Qui les avait apportés ? Pourquoi l’assassin aurait-il choisi mon appartement pour les cacher ? Tout cela est absurde, illogique et stupide… Des preuves, monsieur !… une seule preuve !

L’inspecteur Morisseau paraissait perplexe. Il interrogeait Rénine du regard.

Celui-ci prononça impassible :

— Puisque vous voulez des précisions, c’est Madame Aubrieux elle-même qui les donnera. Elle a le téléphone. Descendons. En une minute, nous serons fixés.

Dutreuil haussa les épaules.

— Comme vous voudrez, mais que de temps perdu !

Il semblait fort irrité. Sa longue station à la fenêtre, sous un soleil brûlant, l’avait mis en sueur. Il passa dans sa chambre et revint avec une carafe d’eau dont il but quelques gorgées et qu’il reposa sur le bord de la fenêtre.

— Allons, dit-il.

Le prince Rénine ricana :

— On dirait que vous avez hâte de quitter cet appartement ?

— J’ai hâte de vous confondre, répliqua Dutreuil en claquant la porte.

Ils descendirent et gagnèrent le cabinet particulier où se trouvait le téléphone. La pièce était vide. Rénine demanda le numéro des Aubrieux à Gaston Dutreuil, décrocha, et obtint la communication.

Ce fut la bonne qui vint à l’appareil. Elle répondit que Mme Aubrieux, après une crise de désespoir, venait de s’évanouir, et que maintenant, elle dormait.

— Appelez sa mère. De la part du prince Rénine. C’est urgent.

Il passa un récepteur à Morisseau. D’ailleurs les voix étaient si nettes que Dutreuil et Hortense purent entendre toutes les paroles échangées.

— C’est vous, madame ?

— Oui. Le prince Rénine, n’est-ce pas ?

— Le prince Rénine.

— Ah ! monsieur, qu’avez-vous à me dire ? Y a-t-il quelque espoir ? implora la vieille dame.

— L’enquête se poursuit d’une façon satisfaisante, prononça Rénine, et vous êtes en droit d’espérer. Pour l’instant, je viens vous demander un renseignement très grave. Le jour du crime, Gaston Dutreuil est-il venu chez vous ?

— Oui, après le déjeuner, il est venu nous chercher, ma fille et moi.

— A-t-il su à ce moment-là que le cousin Guillaume avait 60,000 francs chez lui ?

— Oui, je lui ai dit.

— Et que Jacques Aubrieux, un peu souffrant, ne ferait pas sa promenade ordinaire à motocyclette et resterait à dormir ?

— Oui.

— Vous en êtes bien sûre ?

— Absolument certaine.

— Et vous avez été ensemble au cinéma tous les trois ?

— Oui.

— Et vous avez assisté à la séance l’un près de l’autre ?

— Ah ! non, il n’y avait pas de place libre. Il s’est installé plus loin.

— À un endroit d’où vous pouviez le voir ?

— Non.

— Mais pendant l’entracte, il est venu près de vous ?

— Non, nous ne l’avons revu qu’à la sortie.

— Aucun doute à ce propos ?

— Aucun.

— C’est bien, madame, dans une heure, je vous rendrai compte de mes efforts.