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Rénine murmura, au bout d’un instant :

— Tout le problème est là. Où sont ces billets ? Qu’on mette la main dessus, et l’on est fixé.

À la brasserie Lutetia le téléphone se trouvait dans une salle particulière où il pria qu’on leur servît à déjeuner. Une fois seul avec Hortense et avec Dutreuil, il décrocha le récepteur, d’un geste résolu.

— Allô… La préfecture de police, s’il vous plaît, mademoiselle… Allô… Allô… La préfecture ? Je voudrais communiquer avec le service de la Sûreté. Une communication de la plus haute importance. C’est de la part du prince Rénine.

Le récepteur à la main, il se retourna vers Gaston Dutreuil.

— Je puis convoquer quelqu’un ici, n’est-ce pas ? Nous y serons tout à fait tranquilles ?

— Certes !

Il écouta de nouveau.

— Le secrétaire de M. le chef de la Sûreté ? Ah ! très bien, monsieur le secrétaire, j’ai eu l’occasion d’être en rapport avec M. Dudouis, et de lui fournir, sur plusieurs affaires, des renseignements qui lui ont été fort utiles. Nul doute qu’il ne se souvienne du prince Rénine. Aujourd’hui je pourrais lui indiquer l’endroit où se trouvent les soixante billets de mille francs volés par l’assassin Aubrieux à son cousin. Si ma proposition l’intéresse, qu’il veuille bien m’envoyer un inspecteur à la brasserie Lutetia, place des Ternes. J’y serai avec une dame et avec M. Dutreuil, l’ami d’Aubrieux. Je vous salue M. le secrétaire.

Lorsque Rénine raccrocha l’appareil, il aperçut auprès de lui les visages stupéfaits d’Hortense et de Gaston Dutreuil.

Hortense murmura :

— Vous savez donc ? Vous avez donc découvert ?

— Rien du tout, dit-il en riant.

— Alors ?

— Alors j’agis comme si je savais. C’est un moyen comme un autre. Déjeunons, voulez-vous ?

La pendule marquait alors midi trois quarts.

— Dans vingt minutes au plus, dit-il, l’envoyé de la préfecture sera là.

— Et si personne ne vient ? objecta Hortense.

— Cela m’étonnerait. Ah ! si j’avais fait dire à M. Dudouis : « Aubrieux est innocent », je manquais mon effet. La veille d’une exécution, allez donc convaincre ces messieurs de la police ou de la justice qu’un condamné à mort est innocent ! Non. Jacques Aubrieux appartient d’ores et déjà au bourreau. Mais la perspective des soixante billets, voilà une aubaine qui vaut le dérangement. Pensez donc que c’est le point faible de l’accusation, ces billets qu’on n’a pas retrouvés.

— Mais puisque vous ne savez rien…

— Chère amie, vous me permettez de vous appeler ainsi ? chère amie, quand on ne peut pas expliquer tel phénomène physique, on adopte une hypothèse quelconque où toutes les manifestations de ce phénomène trouvent leur explication, et l’on dit que tout se passe comme s’il en était ainsi. C’est ce que je fais.

— Autant dire que vous supposez quelque chose ?

Rénine ne répondit pas. Ce ne fut que longtemps après, à la fin du repas, qu’il reprit :

— Évidemment, je suppose quelque chose. Si j’avais plusieurs jours devant moi, je prendrais la peine de vérifier d’abord cette hypothèse, laquelle s’appuie autant sur mon intuition que sur l’observation de quelques faits épars. Mais je n’ai que deux heures, et je m’engage sur la route inconnue comme si j’étais certain qu’elle me conduit à la vérité.

— Et si vous vous trompiez ?

— Je n’ai pas le choix. D’ailleurs il est trop tard. On frappe. Ah ! un mot encore. Quelles que soient mes paroles, ne me démentez pas. Vous non plus, M. Dutreuil.

Il ouvrit la porte. Un homme maigre à barbe rousse entra.

— Le prince Rénine ?

— C’est moi, Monsieur. De la part de M. Dudouis, sans doute ?

— Oui.

Et le nouveau venu se présenta :

— Inspecteur principal Morisseau.

— Je vous remercie de votre diligence, M. l’inspecteur principal, dit le prince Rénine, et je suis d’autant plus heureux que M. Dudouis vous ait envoyé, que je connais vos états de service, et que j’ai suivi avec admiration certaines de vos campagnes.

L’inspecteur s’inclina, très flatté.

M. Dudouis m’a mis à votre entière disposition, ainsi que deux inspecteurs que j’ai laissés sur la place, et qui, tous deux, se sont occupés de l’affaire avec moi, dès le début.