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Elle fut éblouie. L’autorité de ces dames illustres, patronnes désormais de ses divers appas, étouffa ses scrupules. Elle interrogea son miroir. Il consentit au mensonge. Elle se vit belle.

Quelle agréable certitude ! Depuis si longtemps, elle croyait à sa laideur ! Une félicité radieuse la compensa de son long martyre. Si quelquefois sa conscience murmurait, elle allait vers son mari, le gratifiait de ses coquetteries les plus savantes, et l’enthousiasme obtenu la rassurait entièrement.

Peu à peu croissait sa vanité. L’illusion n’a pas de bornes. S’attribuant des attraits factices, elle pouvait à son gré les multiplier. Son mérite lui parut immense.

Et elle songea qu’il lui fallait les suffrages d’autrui. Les femmes s’y refusèrent. Elle le savait : elles sont jalouses. Mais les hommes ?

Elle fut avec eux provocante et d’allures libres. Elle sollicitait les paroles équivoques, les frôlements de mains, les agaceries du pied, et elle s’ingéniait par des costumes indécents et des attitudes alanguies à susciter de coupables désirs.

Outre qu’elle était mariée — séduction alléchante — elle disposait d’un mari dont l’amitié n’était point sans profit. Les prétendants affluèrent.

Elle hésita. Sa vertu s’insurgeait. Mais l’époux lui dit :

— Quel bonheur de t’avoir à moi seul, toi la plus belle, trésor mystérieux que personne ne connaît.

Le lendemain, elle eut un amant.