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CES DEMOISELLES LEBAUDRU


Aux fenêtres et au seuil des boutiques qui bordent la rue principale, des gens se dirent :

— Il est deux heures, voilà ces demoiselles Lebaudru qui font leur petit tour.

Elles passaient en effet, l’une trottinant sur les talons de l’autre et la première se retournant à toute minute pour adresser à la seconde quelques mots affectueux.

À vingt ans Angélique Lebaudru perdait son père et sa mère, aubergistes à Saint-Romain. De petites rentes lui permirent de louer une maison au centre du bourg et d’y vivre à sa guise.

Par suite de circonstances diverses, elle ne se maria point. Élevée dans un couvent, elle se montrait fort difficile. Ceux qui la demandèrent lui déplurent. D’autres qu’elle eût acceptés ne songèrent pas à elle.

L’âge vint. Déjà laide, elle se flétrit. Son corps se dessécha. Sa timidité l’empêchait d’étendre ses relations. Sauf le curé et deux ou trois vieux amis, elle ne voyait personne. Ainsi nulle joie ne lui échut. Elle s’ennuyait sans le savoir et marchait vers la vieillesse, vers la mort, sans se douter qu’il est d’autres plaisirs que de faire l’aumône et d’autres chagrins que de pleurer le supplice du Seigneur.