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leur appartiens. Et je suis presque heureuse, vous entendez ? heureuse, car, dans la comédie obligatoire de l’étreinte, ils feignent d’oublier ma laideur, et je l’oublie, moi, et je ne suis plus laide parfois, je ne suis plus laide !

Elle sanglotait dans les bras de son amie. Diane rêvait, compatissante et troublée. Un torrent d’idées obscures grondait en elle. Et, se penchant, elle dit :

— De quoi donc parlez-vous ensemble ?

— Oh ! de vous, tout le temps. Ils crient leur extase. Et moi-même j’éloigne leur pensée de moi. Et ils pensent à vous en m’embrassant, et ce sont des baisers fous, ceux qui s’adressent à vos lèvres.

Vers Diane montaient comme un hymne ces paroles ardentes. Les mots la brûlaient ainsi que des caresses. La vie lui apparaissait sous d’autres couleurs, compliquée de joies nouvelles et de voluptés différentes. Cette vision ne la tentait pas ; mais elle en voulait cependant soulever le voile. Pour la première fois, elle appréciait le sens réel de la beauté et le charme des désirs provoqués.

Marthe s’écria :

— Vous comprenez, je le vois !

Oui, elle comprenait, et elle dit :

— Sois mon amie ; nous vivrons l’une par l’autre. À travers toi m’arrivera l’amour des hommes. Mon honnêteté m’en prive. Je ne le regrette pas ; mais le rythme et l’odeur m’en sont devenus nécessaires. Marthe, tu seras la fleur miraculeuse par qui je sentirai tous les