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— Quelle souffrance ! n’est-ce pas ? C’est la mienne, celle de toutes mes heures. Autrefois, je l’ignorais. Ma vie s’en allait en petites joies et en mesquines satisfactions. Puis je vous ai vue, et ce fut fini. Oh ! nulle envie mauvaise ne m’anima jamais contre vous. Je vous sentais bonne et indulgente et, sans arrière-pensée jalouse, je n’ai cessé de vous admirer. Mais je savais. La laide n’existe pas. Elle a l’utilité d’une plante ou d’une femelle, non la gloire d’être femme. Elle inspire de l’estime, ou du dévouement, ou de la reconnaissance, jamais de l’admiration. Or cela seul est notre raison de vivre… Oh ! cette soirée où je vous connus, quel souvenir de désespoir et d’effroi ! Tous ces hommes qui s’empressaient vers vous et chantaient vos louanges, la voix spéciale qu’ils prenaient en vous parlant, leur regard de prière, leur timidité, leur audace… et moi, l’indifférence, c’est-à-dire, l’accusation tacite de ma laideur.

Elle cacha sa figure sur les genoux de Diane et gémissait :

— Je suis laide. Rien ne fera que je ne sois pas laide. Les yeux qui me contemplent me le disent. Dehors, la glace des devantures me le rappelle. Ne peut-on pas oublier que l’on est laide ?

Elle releva la tête.

— Je l’ai tenté, Diane, et souvent je réussis, grâce à vous. L’espoir m’en vint à notre seconde rencontre. Cette fois, ma souffrance se complique d’une certaine joie bizarre. Écoutez ceci : le parfum des compliments me grisa. C’était à vous qu’ils s’adressaient, certes. Mais moi, j’étais près de vous, et l’atmosphère enivrante, nous la respirions tou-